
Nouvelle semaine intense dans la politique sud-catalane : annonce du nouveau gouvernement catalan de Joaquim Torra, blocage de la normalisation par Madrid et refus de la Belgique d’accepter la demande d’extradition des exilés de Bruxelles. Dimanche 20 mai, les juristes catalans et espagnols ont lancé un cri d’alarme contre les mesures prises par Mariano Rajoy destinées à empêcher le fonctionnement du gouvernement catalan : ne pas publier au journal officiel la nomination annoncée par le président de la Generalitat Quim Torra est non seulement illégal mais constitue un « coup d’État », selon l’analyse de Joaquín Urias, exjuriste du Tribunal constitutionnel espagnol. Avec le soutien des socialistes et de Ciudadanos, le chef du gouvernement espagnol tente ainsi d’empêcher le retour d’un gouvernement catalan et de maintenir la suspension de l’autonomie et le contrôle des finances de la Generalitat.
Après que le lundi 14 mai Quim Torra a été investi 131ème président de la Generalitat de Catalogne, celui-ci a annoncé la composition de son gouvernement dans une ambiance délétère d’insultes, d’accusations et de menaces contre le nouveau président catalan de la part de la classe politique espagnole. Quim Torra avait rencontré Carles Puigdemont mardi 15 mai à Berlin pour coordonner son action gouvernementale et demander lors d’une conférence de presse avec le président en exil la restauration de l’autonomie et proposer un « dialogue sans condition » au gouvernement espagnol. L’annonce du gouvernement par Quim Torra n’a surpris personne ; il avait déjà annoncé dès son élection sa « fidélité au peuple catalan, au référendum du 1er octobre » et sa volonté de rétablir tous les responsables et fonctionnaires destitués ainsi que les lois et programmes annulés par Madrid. Suivant ces principes, le nouveau gouvernement comprend quatre ancien ministres de Carles Puigdemont sur treize qui le composent, qui sont actuellement incarcérés (Roger Rull ministre du Territoire, Jordi Turull ministre de la Présidence) ou en exil (Lluís Puig à la Culture et Antoni Comín à la Santé). Ont également été remarquées les nominations d’un homme avec une grande expérience politique, comme Ernest Maragall aux Affaires étrangères (ERC), d’Elsa Artadi (Junts per Catalunya) ministre des Entreprises et porte-parole et de Chakir El Homrani (ERC) au portefeuille de l’Emploi et des affaires sociales.
Qui dira la plus grosse insulte ?
L’élection du nouveau président, proposée par le président Carles Puigdemont destitué par Madrid et qui a reçu le soutien d’ERC et de Junts per Catalunya (et l’abstention de la CUP), a déclenché une véritable avalanche d’injures, d’insultes et de menaces des partis espagnols, contre la personne de Quim Torra. Il semble que depuis les socialistes du PSOE jusqu’aux populistes de Ciudadanos, en passant par le PP, les dirigeants espagnols se soient lancés dans une course à celui qui dirait l’insulte ou l’injure la plus grosse contre le président indépendantiste. Le champion est certainement Pedro Sanchez, du PSOE, qui semble s’être aligné sur Manuel Valls, qualifiant Quim Torra de « Le Pen de la politique espagnole. » Les responsables du PP et surtout Ciudadanos s’étaient contentés de qualifier le président catalan de « raciste », « xénophobe », « suprémaciste », « ethniciste », « nazi »… Ce qui illustre bien la nervosité croissante et le manque total d’arguments et de proposition de l’Espagne devant la revendication catalane. Une perspective inquiétante. Non seulement pour la scène politique catalane, mais aussi pour le fonctionnement de la démocratie en Espagne, les autorités ne respectant même plus les règles les plus élémentaires de la légalité constitutionnelle.
Contrôler la police et les médias, purger l’enseignement
Tous les partis espagnolistes, ont déchaîné leur rage toute la semaine dans une escalade de demandes, toutes plus scandaleuses et insensées, dans le silence et l’absence de réaction de Podemos, de la société espagnole, et en particulier des intellectuels et de la gauche. Paradoxalement c’est dans les rangs du PP qu’ont été prononcés les mots les plus « mesurés » et les déclarations les plus prudentes (ils demandent « seulement » que le président catalan nomme des ministres qui n’ont pas de démêlés avec la justice et promettent de suivre de près toutes les actions du gouvernement, et comme l’a expliqué le ministre des Finances Cristóbal Montoro continueront de contrôler les finances catalanes parce qu’ils « n’ont aucune confiance » dans la Generalitat. Le plus surprenant, décevant, irresponsable est certainement le PSOE qui assimile les indépendantistes catalans à l’extrême-droite et exige la réforme du délit de « rébellion » dans le code pénal, redéfini comme tout acte contraire à la Constitution sans qu’il n’y ait nécessairement de violence, ou qui prévoit encore l’obligation pour occuper une fonction publique de jurer fidélité à la constitution. Cependant, le plus furieux et haineux, est cependant le leader des populistes de Ciudadanos qui appelle ouvertement à maintenir la suspension de l’autonomie catalane, mais aussi à prendre le contrôle direct des Mossos d’Esquadra, la police catalane, de la politique extérieure du gouvernement catalan et des médias publics de la Catalogne (les 4 chaînes de télévision -TV3, Canal 33, Esport 3, 3/24- et les 4 radios -Catalunya Ràdio, Catalunya Informació, Catalunya Música et I-Cat.FM) accusés d’être des outils de propagande. Ils réclament en outre que l’école catalane soit « purgée » de tous les enseignants qui « endoctrinent » les jeunes Catalans. Le parti Ciudadanos, en même temps qu’il révèle chaque jour davantage son nationalisme espagnol exacerbé sans montrer plus guère de complexes, met au jour ses tics d’autoritarisme qui rappellent clairement l’époque pré-démocratique de l’Espagne franquiste. De plus en plus, avec les élections municipales de 2019 en vue et dans la perspective éventuelle d’élections générales en 2020 (si toutefois la majorité relative de Rajoy parvient à résister avec ses 35 % de députés et le soutien des 11 % de Ciudadanos), les partis anti-indépendantistes se disputent l’électorat espagnol dans une concurrence éhontée de celui qui sera le plus extrémiste et intolérant.
La justice belge refuse les extraditions
L’intransigeance espagnole semble se renforcer d’autant plus qu’elle se trouve contestée sur la scène européenne. La justice belge a informé mercredi 16 mai le Tribunal suprême qu’elle rejetait la demande d’extradition des réfugiés de Bruxelles en raison de vices de formes et d’erreurs grossières dans la procédure, ce qui a irrité au plus haut point les autorités judiciaires espagnoles, qui se sont considérées humiliés et ont accusé les Belge de déloyauté, ont prévu de déposer un troisième mandat d’arrêt européen, ont même mis en garde les Allemands de ne pas répéter la « même erreur que les Belges » et ont appelé à la réforme des mandats d’arrêt européens accusés de ne pas fonctionner. Ils ont, cependant, immédiatement essuyé le refus de la commissaire européenne à la justice qui a clairement rejeté la demande espagnole, en affirmant que la procédure fonctionnait très bien. Un nouveau revers. Et une incompréhension croissante en Europe de l’attitude et de l’obstination des Espagnols, en même temps que s’étend la répression judiciaire et policière contre les indépendantistes, les manifestations pacifiques des citoyens : toujours plus d’arrestations de membres des CDR (Comités de défense de la République), de procès d’élus et d’enseignements, de classement sans suite de plaintes contre la guàrdia civil pour des violence policières…