Catalogne. Puigdemont, un autre président ou de nouvelles élections?


Ce samedi 5 mai, les représentants de Junts per Catalunya se sont réunis à Berlin avec le président Carles Puigdemont pour définir la stratégie d’investiture du nouveau président de la Generalitat.

Le président catalan a rendu public une adresse pour communiquer avec les citoyens (Carles Puigdemont Casamajó Postfach 31 17 18 10654 Berlin) depuis Berlin où il résidera jusqu’à la résolution par la justice allemande de la demande d’extradition de l’Espagne. Le président et les députés ont annoncé que, le 16 mai au plus tard, la Catalogne aura un nouveau président. Avec la première semaine de mai, la date du 22 mai, on se rapproche de la dernière limite pour investir un président de la Generalitat avant la dissolution du parlement et de nouvelles élections. Alors que les négociations entre les partis indépendantistes se poursuivent, le Parlement s’est réuni les jeudi et vendredi 3 et 4 mai pour approuver la modification de la loi de la présidence et permettre l’investiture d’un candidat à distance. Sans surprise, la majorité indépendantiste a approuvé la proposition avec l’opposition des espagnolistes (PP, Ciudadanos et socialistes) et des « comuns » de Podemos qui dénoncent un « débat mirage » et une décision « antidémocratique » et prédisent que Puigdemont ne sera jamais président. Le député d’ERC Antoni Castellà a défendu les changements législatifs indiquant que « qu’ils le veuillent ou non, la République de Catalogne sera une réalité ». La loi vise à essayer d’investir Carles Puigdemont depuis son exil forcé à Berlin. Malgré cette dernière manœuvre, il ne fait aucun doute que les autorités espagnoles empêcheront l’élection de Carles Puigdemont. Avec la suspension de l’autonomie Rajoy contrôle la publication de la loi catalane au Journal officiel de la Generalitat de Catalogne (il pourrait attendre jusqu’au 18 mai) et a déjà annoncé qu’une fois en vigueur, il présentera un recours devant le Tribunal constitutionnel, ce qui suspend automatiquement la loi.

Obstruction systématique de Madrid

Dans cette perspective, les partis indépendantistes préparent une candidature alternative. Le nom qui ressort le plus souvent cette semaine est celui de la députée de Junts per Catalunya, Elsa Artadi. Mais il n’est pas certain que Madrid laisse aller cette candidature à son terme. En effet la CUP a dit qu’elle ne voterait pas d’autre candidat que Puigdemont et les deux autres partis indépendantistes ont besoin des votes délégués de Carles Puigdemont (Président de la Generalitat en exil à Berlin) et de Toni Comín (ministre de la santé exilé à Bruxelles) pour avoir une majorité simple. Or les autorités espagnoles ont annoncé qu’elles s’y opposeraient également. La pression espagnole continue avec l’objectif de liquider politiquement les dirigeants élus exilés (et à les emprisonner) et d’empêcher la liberté du parlement catalan et des institutions de la Generalitat. Le délégué du gouvernement espagnol, Enric Millo, a averti que la suspension de l’autonomie pourrait se poursuivre après la formation d’un gouvernement catalan lorsque Madrid le jugera approprié. De plus en plus de commentateurs catalans soulignent que l’autonomie a pris fin en Espagne et que Madrid recentralise les institutions, et dénonce même un « coup d’État officieux » et la fin de la Constitution postfranquiste de 1978. Madrid menace également d’autres régions des Pays Catalans : après les îles Baléares, Rajoy attaque maintenant décrets sur l’éducation plurilingue de la Generalitat Valenciana et met en garde les Valenciens de « de ne pas suivre l’exemple de division et de confrontation de la Catalogne.

Chasse aux sorcières contre les enseignants

Au chapitre de la répression et de la criminalisation de l’indépendantisme au sein de la société catalane, les autorités espagnoles portent aujourd’hui leur action contre les enseignants catalans en ouvrant des procédures judiciaires contre 9 professeurs du collège El Palau de Sant Andreu de la Barca, accusés « d’incitation à la haine » contre des enfants de policiers espagnols pour avoir parlé des violences policières au lendemain du référendum du 1er octobre. Des tags sur les mures de l’établissement qualifiaient les professeurs de « séparatistes nazis » et leurs noms et photos ont été publiés par la presse (journal El Mundo) et par le leader de Ciudadanos, Albert Rivera. Quarante autres enquêtes sont en cours contre des enseignants et le gouvernement espagnol encourage la dénonciation et les sanctions contre les enseignants, avec le soutien des socialistes et du journal El Pais. Les fédérations de parents d’élèves et les syndicats soutiennent pleinement les enseignants, mais la stratégie espagnole est de plus en plus orientée vers l’intimidation de la société catalane, sa fragmentation et la provocation de violences qu’elle n’a jamais connues jusqu’ici. Toujours en matière de répression, les tribunaux espagnols ont saisi plus de 100 000 euros à chacune des associations, ANC et Òmnium Cultural, pour avoir organisé une enquête sur l’indépendance.

Résistance et diplomatie

Pendant ce temps, des concerts et des manifestations de solidarité et de soutien aux prisonniers politiques et aux exilés (course de Catalogne jusqu’aux prisons de Madrid, chaîne humaine pour porter les portraits des victimes de la répression à Montserrat…) se poursuivent. Sur la scène internationale, en réponse à la liquidation des organismes de la Generalitat de représentation internationale, la suppression de toutes les subventions aux associations catalanes à l’étranger (Casals catalans à l’étranger …), le mardi 1er mai, a été présenté à Washington le Catalonia America Council, une organisation privée fondée par l’ancien délégué du gouvernement catalan pour l’Amérique du nord les huit dernières années, Andrew Davis, avec les objectifs promouvoir « les grands défis sociaux et politiques auxquels font face la Catalogne et les États-Unis, et le renforcement des relations entre les deux territoires » (actualité, échanges internationaux, commerce et innovation, journalisme et médias). En Suisse, où Anna Gabriel, ancienne députée de la CUP, est réfugiée, son avocat est intervenu dans les médias pour exprimer sa surprise et l’incompréhension de l’opinion suisse pour les déclarations du ministre espagnol des Affaires étrangères, Alfonso Dastis, qui a déclaré sur la télévision suisse qu’il n’y aurait pas de dialogue avec Puigdemont et que « la seule personne avec laquelle il doit parler, c’est le juge », l’assimilant, lui et ceux qui se sont opposés à la police le jour du référendum à des délinquants.

La Catalogne Nord sous surveillance

Conséquence du « procès » indépendantiste sud-catalan, la surveillance policière semble s’étendre en Catalogne Nord. Après les pressions du préfet contre des élus qui arboraient un ruban jaune en signe de réprobation des prisonniers politiques sud-catalans, ce sont maintenant des élus locaux en charge de la langue catalane qui ont fait l’objet de la part de l’administration de questions sur leurs opinions politiques et possibles sympathies indépendantistes, et les agents des renseignements intérieurs qui sont depuis peu systématiquement présents lors d’événements où il y a des militants ou des élus nord-catalans.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]