À un mois de nouvelles élections, répression anti-indépendantiste en Catalogne

Mariano Rajoy. Crédit: Ministry of the Presidency. Government of Spain , via Wikimedia Commons

À un mois tout juste de la date limite pour la convocation automatiques de nouvelles élections si aucun candidat n’est élu président de la Catalogne, la crise a encore monté d’un cran en Espagne avec une confrontation ouverte entre la justice et le gouvernement Rajoy.

Sur la base des rapports de la police espagnole et des enquêtes du Tribunal Suprême qui ont conduit à emprisonner les dirigeants catalans accusés de « violence, rébellion et détournement de fonds » (pour avoir organisé le référendum le 1er octobre et le processus d’indépendance), le juge Pablo Llarena conteste désormais les conclusions du ministre des Finances espagnol Cristóbal Montoro qui a déclaré à plusieurs reprises que pas un seul euro de la Generalitat euro n’avait servi à payer le référendum, puisqu’il contrôle les finances du gouvernement catalan, placées sous tutelle depuis septembre 2017. Le juge demande maintenant des preuves et met directement en cause la position du gouvernement espagnol. Ce qui provoque un malaise croissant (ou bien le ministre ment ou les accusions du tribunal et de la police sont inventées …) et augmente la pression de Ciutadanos qui, de partenaire du PP, assume de plus en plus le rôle de prétendant au gouvernement de l’Espagne.

Volonté de réprimer et d’humilier les Catalans

L’opposition frontale entre espagnolistes et indépendantistes ne laisse augurer aucune solution proche, ni même un début de dialogue. La seule stratégie des autorités espagnoles est d’enfermer le maximum de leaders politiques, de traduire devant les tribunaux le maximum d’élus locaux et de militants de la société civile, de poursuivre autant que faire se peut les expressions de solidarité de la société catalane avec les indépendantistes. Ainsi cette semaine, le tribunal a relancé la procédure engagée contre les 712 maires de l’AMI (Association des municipalités pour l’indépendance) pour « détournement de fonds et désobéissance » pour avoir participé à l’organisation du référendum. Le gouvernement espagnol a aussi engagé une nouvelle plainte contre l’ancien président catalan, Artur Mas, cette fois au nom de la Generalitat (sous tutelle) pour l’organisation de la consultation du 9 novembre 2015. Sur le terrain, la guàrdia civil est à nouveau intervenue pour obliger un Catalan de Perpignan à arracher un autocollant portant le drapeau catalan et le numéro 66 du département de sa plaque, la policia nacional a confisqué des Tshirts jaunes, des affiches, des drapeaux catalans et des sifflets aux supporters du Barça lors de la finale de la Copa del Rey, pendant que la police photographiait les spectateurs qui sifflaient et alors que le ministre de l’intérieur espagnol Juan Ignacio Zoido twittait menançant que « siffler l’hymne espagnol est un acte violent » en rappelant les définitions de terrorisme du code pénal. Le gouvernement espagnol a tenu à expliquer qu’il avait complètement démantelé l’organisme de représentation de la Generalitat à l’extérieur, Diplocat (qui existait depuis 1982) et a démis le vendredi 20 avril deux nouveaux hauts responsables de la Generalitat : la directrice des Relations exterieures Marina Falcó (accusée d’avoir laissé l’ancien ministre de la Culture Lluís Puig entrer dans la délégation de la Generalitat à Bruxelles où avait lieu un hommage à l’écrivain catalan Manuel Pedrolo) et le directeur de l’école d’Administration publique de la Catalogne, Agustí Coromines qui a dénoncé une véritable « chasse aux sorcières ».

Puigdemont en tête de l’audimat à la télévision

Carles Puigdemont et Roger Torrent, n’ont pas été moins acteurs de l’actualité de la semaine. Le président du Parlement a effectué une visite de trois jours à Genève où il a dénoncé à l’ONU les atteintes au fonctionnement des institutions catalanes, à la démocratie et à la liberté d’opinion en Espagne. Le maire de Genève, aux côtés de Torrent, s’est offert pour exercer le rôle de médiateur dans le conflit. Le président de la Generalitat de son côté a été interviewé à Berlin dimanche 15 avril sur TV3, la télévision catalane en obtenant un record d’audience avec plus d’un million de téléspectateurs (la Catalogne compte sept millions d’habitants). Il a dénoncé sans détour le véritable « coup contre la démocracie » orchestré par l’Espagne, avec un juge qui décide seul (sans s’appuyer sur aucune loi ni aucune disposition de la Constitution espagnole) de ne pas laisser des députés légalement élus et sans condamnation être candidats à la présidence. Le président catalan a lancé un appel au respect du « mandat sacré des électeurs ». Il a également expliqué le rôle du Conseil de la République créé à Bruxelles : « maintenir la légitimité altérée par le gouvernement espagnol et revendiquer le droit légitime des Catalans à l’autodétermination ». Il a rappelé qu’il fallait être « clair: la République a bien été proclamée » et a ajouté que « la Catalogne est un petit laboratoire pour l’Europe et la citoyenneté européenne ; les institutions feraient bien de s’en rendre compte ». Il a annoncé qu’il y avait assez de temps pour arriver à un accord d’investiture avec les partis indépendantistes et que la première mesure du nouveau gouvernement serait un plan de choc pour reconstruire tout ce que le gouvernement espagnol s’était évertué à détruire au sein de l’administration catalane en six mois de suspension de l’autonomie.

Manuel Valls candidat pour le parti qui défend la Fondation Francisco Franco ?

Une autre figure politique a créé l’événement dans la semaine avec l’intervention dans la « crise interne » catalane de Manuel Valls interviewé à la télévision espagnole. Après avoir déclaré « qu’il fallait livrer Puigdemont à l’Espagne », celui-ci a répondu qu’il réfléchirait à la proposition du parti populiste qui défend la Fondation Francisco Franco, Ciutadanos (il le qualifie de parti de centre-gauche!) d’être son candidat à Barcelone aux élections municipales. Une position qui suscite un mélange d’étonnement, de colère et d’incrédulité dans l’opinion catalane (et même dans sa propre famille barcelonaise) devant l’ingérence d’un politicien raté qui semble ne plus savoir quoi inventer pour attirer l’attention.

Front commun des prisonniers politiques contre un juge partial

Et la même semaine, le juge du Tribunal Suprême a procédé à l’audience des prisonniers politiques catalans pour leur communiquer leur mise en examen définitive pour « rébellion ». Du coup les inculpés ont opéré un changement significatif d’attitude et de stratégie ; tous ont saisi l’occasion pour confirmer leur indépendantisme et la légitimité de l’autodétermination de la nation catalane, dénonçant explicitement les poursuites dont ils sont l’objet pour leurs idées et exigeant la récusation du magistrat qui « est juge et parti » dans un processus clairement politique et antidémocratique.

Alliance pour les libertés en Catalogne

Au chapitre des dénonciations des dérives autoritaires de l’Espagne, la présidente du Département à Perpignan, avec plusieurs maires et élus, Hermeline Malherbe, a appelé au respect de la liberté et de la démocratie et a exigé la libération des prisonniers indépendantistes. Des banderoles ont été placées sur la façade de l’Hôtel du Département et des politiques et personnalités de la société civile ont créé une « Alliance pour les Libertés Catalogne » en lançant un appel à adhérer au plus grand nombre dans toute la France afin de « dénoncer des faits très graves » et « de peser de tout son poids pour qu’il soit mis immédiatement fin à des pratiques qui rappellent les sinistres méthodes du franquisme ».

Sant Jordi en état d’exception

Une ambiance bien tendue pour la célébration de Sant Jordi –en état d’exception-, le patron de la Catalogne, la fête des livres et des amoureux qui mobilise chaque année des centaines de milliers de Catalans et des dizaines d’écrivains dans les rues de tout le pays ; pour la première fois depuis la fin de la dictature de Franco la Sant Jordi sera célébrée sans participation institutionnelle en raison de la suspension de l’autonomie par le gouvernement espagnol. Un livre parmi les centaines publiés ce printemps peut intéresser les lecteurs du catalan qui veulent connaître des aspects cachés du processus et comprendre la proclamation de la République catalane : « Nou homenatge a Catalunya. La República Catalana : crònica d’una revolució », du journaliste et responsable du site d’information Vilaweb, Vicent Partal, publié par Ara Llibres.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]