Catalogne. Les tribunaux européens démontent les accusations de rébellion

Une nouvelle semaine de folie et un nouveau rebondissement dans la politique catalane et dans ce qui est déjà une crise institutionnelle hispano-européenne.

Jeudi 5 avril, Carles Puigdemont est libéré par la justice allemande qui écarte l’accusation de « rébellion », ce qui a provoqué un choc chez les Espagnols, en projetant la question indépendantiste catalane à la une des médias en Allemagne et en Europe. Le tribunal du Land de Schleswig-Holstein a libéré le président catalan (après deux semaines de détention dans la prison de Neumünster où il était détenu suite à la demande du gouvernement espagnol) sous caution de 75 000 € et avec l’obligation de rester en Allemagne, dans la mesure où la décision finale d’extradition n’est pas encore décidée par la justice, la poursuite pour « malversation » devant encore être tranchée. Le même jour, les trois ministres du gouvernement catalan, Comín, Basset i Puig, sous le coup d’une demande d’extradition similaire, après avoir été convoqués par le tribunal belge sont également laissés en liberté sans caution. Tout comme la justice écossaise qui a relâché la ministre catalane de l’Enseignement Clara Ponsatí. De plus, le ministère de la Justice suisse a exclu toute extradition pour des raisons politiques (en référence aux deux exilées Marta Rovira, secrétaire générale d’ERC, et Anna Gabriel, ancienne députée de la CUP). Le réveil espagnol est d’autant plus dur que gouvernants, médias et nombre de juges et bonne partie de l’opinion vivent dans une réalité virtuelle basée sur des récits imaginaires (on parle plutôt aujourd’hui de « faits alternatifs ») inventant violence, rebellions, événements insurrectionnels attribués aux séparatistes catalans et qu’ils comptaient sur la solidarité, le soutien et les interventions du monde politique et institutionnel européen et des organes judiciaires. De plus, la Belgique vient d’ouvrir une enquête pour déterminer si les services secrets espagnols sont intervenus de manière illégale sur son sol pour installer un mouchard sur la voiture du président catalan.

Que peut-il arriver maintenant ?

La décision de la justice allemande a une nouvelle fois précipité l’actualité catalane et relancé de manière spectaculaire les perspectives d’évolution de la situation, sans pour autant que disparaissent les nombreuses inconnues. Puigdemont va-t-il être extradé ? Ou après avoir écarté les accusations délirantes des autorités espagnoles, le tribunal allemand (ainsi que les tribunaux belges et écossais) jugera-t-il incohérentes et inexistantes les accusations de malversation ? Et s’ils acceptaient de valider ces accusations, les Espagnols accepteraient-ils de poursuivre les indépendantistes uniquement pour ce motif ou, comme ils l’ont déjà fait une fois, retireront-ils le mandat international pour éviter d’être trop ridicules ? Et si le juge d’instruction Pablo Llarena décidait de présenter un recours contre la décision allemande devant le tribunal européen de Strasbourg (il est en train d’en étudier la faisabilité), la justice espagnole attendra-t-elle la résolution de l’appel pour juger les accusés indépendantistes ? Et dans ce cas, seront-ils libérés ou resteront-ils en prison préventive sans procès pendant des années ? De toute façon, les voix de nombreux avocats commencent sérieusement à mettre en doute la validité des accusations infondées et remettent de plus en plus en cause l’équanimité et la rigueur démocratique de la justice espagnole.

Énorme écho en Allemagne

L’effet de la libération de Carles Puigdemont a suscité un intérêt énorme dans les médias en Allemagne, intérêt alimenté par les déclarations rageuses et haineuses de certains milieux politiques et médiatiques (du parti d’extrême-droite Vox par exemple qui est partie civile dans l’accusation contre les indépendantistes, ou du journaliste Jiménez Losantos qui profère dans les médias des insultes contre le juge allemand qualifiées « d’infect, de nazi, de rouge, de racaille », entre autres gentillesses, qui indique « qu’aux Baléares, il y a environ 200000 allemand qui peuvent servir d’otages » et « qu’en Bavière les bars peuvent commencer à exploser », incitant à passer à l’action). La police de Munich enquête sur l’affaire ; la police espagnole n’a encore rien dit. La vice-présidente du gouvernement espagnol de son côté a réaffirmé que « l’Espagne va gagner de toute façon » alors que Rajoy a répété qu’il n’y aurait jamais de dialogue avec les indépendantistes. Pour sa part, le président Puigdemont, à sa sortie de prison devant des dizaines de micros et de télés et avec le sourire, a lancé – en allemand, en anglais, en espagnol et en catalan – un appel au dialogue et a appelé l’UE à jouer le rôle de médiateur dans le conflit.

Mobilisation des maires nord-catalans et Comité de solidarité corse

En France, de nouvelles voix se sont élevées pour dénoncer la répression des politiques catalans. En Corse, a été créé un Comité de Solidarité et en Catalogne Nord, une trentaine de maires ont signé un manifeste qui sera communiqué aux autorités françaises pour exiger le respect de la démocratie et des droits fondamentaux en Catalogne Sud. Le Syndicat intercommunal pour l’occitan et le catalan (SIOCCAT) qui regroupe 128 des 226 municipalités de Catalogne du Nord s’est également prononcé publiquement pour la défense des prisonniers politiques, le respect de la liberté d’expression et la fin de la répression contre les Catalans.

La justice espagnole est-elle devenue folle ?

La pression des autorités espagnoles ne semble toutefois pas se relâcher. Le porte-parole du gouvernement a réagi à la décision du tribunal allemand et à l’intervention du ministre allemand des Affaires étrangères, affirmant que l’Espagne continuerait d’appliquer et de faire respecter la loi sur son territoire de toute façon. La juge Lamela de l’Audience nationale d’un autre côté semble s’engager dans une voie toujours plus folle, en formulant des accusations toujours plus extravagantes. C’est maintenant, le commandant de la police catalane, Josep Lluís Trapero, le héros des attentats islamistes de Barcelone au mois d’août 2017, qui est accusé de sédition et « d’appartenance à une organisation criminelle » (il risque près de 40 ans de prison), avec toute la direction et le commandement de la police catalane et du ministère de l’Intérieur de la Generalitat. Les CDR – comités de défense de la république – groupes de défense citoyens pacifistes auto-organisés et qui organisent des manifestations sont accusés (même par des socialistes …) de mener une « guérilla urbaine » et d’être responsable « d’actes insurrectionnels » (sic) pour avoir ouvert des péages d’autoroutes ! En outre, cette semaine, les autorités espagnoles ont arrêté le lanceur d’alerte suisse Hervé Falciani en vertu d’un mandat d’arrêt international, au motif que la Suisse leur avait envoyé une demande d’extradition en mars dernier. Déclaration immédiatement démentie par le ministère fédéral de la justice helvétique qui précise que le mandat date de mai 2017… que Falciani est recherché depuis 2009 et qu’ils ne l’utiliseront jamais comme monnaie d’échange avec les exilées catalanes à Genève. Une gifle supplémentaire pour le gouvernement espagnol.

Parlement, président et manifestation

Les événements ont réactivé les tractations pour essayer d’investir un président de la Generalitat (avant la date limite du 22 mai). Le président du Parlement, Roger Torrent, devrait convoquer une nouvelle séance du Parlement les jours prochains et est en train de procéder à de nouvelles consultations (pour la 4ème fois) auprès des partis pour évaluer le soutien des candidats potentiels : Jordi Sànchez (en prison préventive depuis six mois) ou Carles Puigdemont en exil. Le bureau du Parlement a joué une nouvelle pièce en autorisant le vote délégué des exilés, qui sont légalement « empêchés » d’être présents au Parlement en raison de l’impossibilité de quitter la Belgique, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Ce qui permettrait d’arriver à la majorité nécessaire à l’élection même avec l’abstention de la CUP qui refuse toujours d’investir tout autre candidat que Puigdemont. Reste à savoir si les tribunaux espagnols, comme ils l’ont fait précédemment, vont interférer dans le fonctionnement démocratique en ordonnant – sans base légale – l’interdiction d’être candidat à la présidence des élus inculpés. Ce qui a déjà conduit à une deuxième intervention du Comité des droits de l’homme de l’ONU qui demande à l’Espagne de respecter les droits civils des citoyens présumés innocents. Il n’y a pas encore de perspective très claire de résolution de la question catalane, qui apparaît de moins en moins comme une « affaire interne espagnole », comme le répète indéfiniment la Commission européenne, mais les jours qui viennent risquent d’être à nouveau riches en événements et en mobilisations, soit par les CDR, soit avec l’ANC qui a convoqué une manifestation de masse le dimanche 15 avril à Barcelone.

> Alà Baylac Ferrer

Contributeur. Maître de conférence à l’Université de Perpignan – Via Domitia (UPVD) en Catalogne du Nord, Alà Baylac Ferrer est spécialiste des langue et culture catalanes. Il est par ailleurs directeur de l’Institut franco-catalan transfrontalier (IFCT). [Lire ses articles]