La stratégie espagnole contre l’indépendantisme catalan s’est accélérée en procédant à la décapitation de la classe politique catalane et au blocage des institutions démocratiques (Parlement et autonomie de la Catalogne). Après une nouvelle semaine d’événements judiciaires et politiques exceptionnels, l’Espagne semble sombrer dans l’anormalité démocratique, l’autoritarisme et la répression des partisans de l’indépendance de la Catalogne.
Samedi 24 mars, le Parlement de Catalogne s’est réuni pour la deuxième fois dans la semaine pour une session d’investiture après que jeudi, le candidat de Junts per Catalunya Jordi Turull n’ait pas obtenu la majorité absolue au premier tour de scrutin. Entre-temps, le Tribunal suprême espagnol, l’a convoqué vendredi à Madrid, ainsi que quatre autres députés indépendantistes et a procédé à leur détention préventive sans caution, sous l’accusation de rébellion. La « justice » espagnole pour la troisième fois empêche ainsi un candidat d’être élu président de la Generalitat et maintien le blocage des institutions catalanes, la suspension de l’autonomie et le contrôle de l’administration catalane par le gouvernement espagnol.
La classe politique indépendantiste décapitée
Cinq dirigeants indépendantistes, Jordi Turull, Raül Romeva, Dolors Bassa, Roger Rull, ex ministres du gouvernement catalan de Puigdemont et Carme Forcadell, ancienne présidente du Parlement de Catalogne ont ainsi été incarcérés. Dans ces conditions, en l’absence du candidat emprisonné, le président du Parlement, Roger Torrent, qui avait refusé de suspendre la réunion de la chambre exigée par le gouvernement espagnol n’a pas pu samedi procéder au deuxième vote et après un discours dénonçant la répression et l’atteinte à la démocracie, il a laissé chaque groupe parlementaire s’exprimer 15 minutes. Quelques minutes plus tard, un autre discours prononcé par le président du Parlement, avec le soutien de l’ancien président de la Catalogne Artur Mas, trois autres présidents du Parlement et des représentants des groupes politiques Junts per Catalunya, ERC, En Comú Podem et la CUP, à l’extérieur de l’hémicycle, a lancé un appel à l’unité des démocrates en exigeant la libération des prisonniers politiques et la fin de l’état d’urgence.
Le juge invente délits et faits virtuels
Les politiques catalans – à l’exception des espagnolistes du PP et de Ciudadanos – dénoncent les décisions partisanes et sans base légale du juge contre les indépendantistes catalans, qui a annoncé cette semaine l’inculpation de 25 élus, dont treize pour « rébellion » (soulèvement violent contre l’autorité) qui encourent 30 ans de prison. Les autres accusations sont : sédition, détournement de fonds et désobéissance. Les accusations reposent sur des délits inexistants : aucun des accusés n’a jamais eu recours à la violence et tous ont toujours défendu le pacifisme. La « violence » inventée par le juge pour justifier les accusations et la prison correspond aux interventions policières « causées par des manifestations » dont les hommes politiques et les associations sont responsables. Tout au long de l’acte d’accusation, le juge utilise en permanence le conditionnel pour se référer à la violence que « pourrait » générer la libération des accusés, et décrit les manifestations comme des faits qui « pourraient être assimilés à une prise d’otage avec des tirs en l’air ». Le même juge Pablo Llarena indique pour justifier l’emprisonnement préventif « qu’il est impossible d’avoir la garantie que les accusés ne persisteraient pas dans leurs objectifs d’indépendance ».
Parodie de justice et simulacre d’État de droit
Les « malversations » seraient justifiées par l’utilisation de fonds publics dans l’organisation d’actes et de manifestations qui visent l’indépendance. Le juge remonte pour inculper les indépendantistes à toutes les mesures prises par le gouvernement catalan et à toutes les manifestations de la société civile organisées au cours des cinq dernières années. Quant à la « désobéissance », elle consiste à avoir organisé des débats sur le thème de l’indépendance au Parlement de Catalogne, des débats jugés illégaux et interdits par les autorités espagnoles. Certains députés non partisans de l’indépendance (En Comú Podem) font même partie des inculpés pour avoir été présents au bureau du Parlement lors du débat. Les poursuites judiciaires pour « désobéissance » ou « incitation à la haine » touchent actuellement plus de 900 personnes, citoyens élus et ordinaires, dans toute la Catalogne. Dans ce contexte, l’exercice de la justice – de l’avis même de nombreux avocats, magistrats et avocats – ressemble de plus en plus à une parodie et éloigne l’Espagne d’un État de droit. Aussi bien la répression des idées indépendantistes, que l’emprisonnement de députés et de politiques, les graves dysfonctionnements de la justice et la suspension des institutions démocratiques, la violation des droits civils, tout concourt à aggraver la crise l’État espagnol qui semble sombrer dans l’autoritarisme et l’arbitraire.
Exilés et mandats d’arrêt internationaux
Une des députées poursuivies par le Tribunal suprême a choisi l’exil en Suisse vendredi 23 mars pour « garantir ses droits politiques, sa liberté d’expression et sa vie de famille» : Marta Rovira, secrétaire générale d’ERC, convoquée par le juge vendredi, a décidé d’aller vivre à Genève pour continuer à exercer depuis la capitale helvétique sa fonction politique et à continuer de revendiquer la République catalane proclamée en octobre par le Parlement. La semaine précédente c’est la responsable de la CUP, Anna Gabriel, convoquée par le tribunal qui avait pris la route de la Suisse. Après avoir incarcéré les députés vendredi, le juge a également décidé de réactiver des mandats d’arrêt internationaux contre les exilés Comín, Puig, Basset en Belgique, Ponsaty en Écosse, Gabriel et Rovira en Suisse, et Puigdemont en visite en Finlande jusqu’à samedi 24 mars [ndlr : il vient d’être arrêté par la police allemande]. La Suisse a déjà répondu en indiquant qu’elle n’extradait personne pour des raisons politiques. À Helsinki, les autorités finlandaises ont demandé au gouvernement espagnol de leur communiquer les documents en anglais, alors que l’avocat de Puigdemont précisait qu’en cas de demande, le président catalan collaborerait avec la justice, comme il l’avait toujours fait avec le juge belge, avant que l’Espagne ne retire sa demande d’extradition.
Inquiétant silence complice de l’Union européenne
Malgré plusieurs cas de solidarité ou d’interventions d’organismes internationaux – députés allemand, flamand, finlandais, suisse, ou la demande du Comité des droits de l’homme de l’ONU à l’Espagne de respecter les droits civils et politiques Jordi Sànchez –, on constate toujours un inquiétant silence complice de l’Union européenne face aux dérives flagrantes de l’Espagne, un silence et une complaisance qui ne manquent pas de rappeler d’autres épisodes historiques contemporains. Dans les années 1930, lorsque les démocraties européennes au moment du coup d’État de Franco refusent de participer à la défense de la République espagnole pour éviter de déplaire aux fascistes italiens et aux nazis allemands qui apportaient sans scrupule leur soutien au putschistes militaires, ils ne réussissent qu’à retarder la confrontation, à renforcer et à encourager les puissances totalitaires contre le monde démocratique. L’UE de 2018 joue-t-elle le même rôle que les démocraties de 1936 ? L’UE ne se trompe-t-elle pas de politique dans un contexte européen de xénophobie croissante, de gouvernements autoritaires et de détérioration des principes démocratiques en Autriche, en Pologne, en Bulgarie, en Italie et en Espagne ?