Catalogne. Quelques leçons du scrutin du 21 décembre.

La Catalogne sous tutelle a voté hier pour les élections (toujours) « régionales ». Mais alors que Mariano Rajoy souhaitait prouver que la majorité silencieuse était unioniste, le scrutin, très suivi par les Catalans, lui a prouvé le contraire. Mais tout n’est pas rose pour les indépendantistes malgré leur majorité absolue en sièges…

La série catalane n’en finit plus de rebondir. Malgré un ex-président en exil en Belgique (Carles Puidgemont) et un favori des sondages en prison (Oriol Junqueras), les Catalans ont réaffirmé jeudi 21 décembre leur volonté de voir les « catalanistes » au pouvoir. Et le premier constat, évident, c’est l’échec brutal du premier ministre Mariano Rajoy. Avec 4 sièges, le Parti Populaire qui assure le gouvernement transitoire suite au référendum illégal du 1er octobre dernier prouve l’illégitimité de ses décisions en Catalogne. L’article 155 de la Constitution espagnole a été sévèrement critiqué par le peuple qui n’accepte pas qu’on lui dicte sa conduite depuis Madrid. Ceci est un fait acquis. Youenn Le Lay, militant UDB sur place, nous raconte d’ailleurs que « les affiches du Parti Populaire étaient souvent lacérées ou transformées au feutre ».

En revanche, le fait notable de cette élection, c’est avec 36 sièges la victoire de Ciudadanos, le parti de centre-droit espagnol qui a mené une campagne brutale contre l’indépendance (avec l’aide sur place de Manuel Valls rappelons-le), jusqu’à insulter les marqueurs catalans. Profitant de la mauvaise réputation du Parti Populaire, le parti libéral a mobilisé sur sa liste les anti-indépendance et a indubitablement gagné… mais seul ! Le mode d’élection étant parlementaire donc bien plus démocratique qu’en France, Ciudadanos n’a aucune chance de former un gouvernement même technique avec qui que ce soit. Le parti va néanmoins, grâce à cette victoire, pouvoir faire évoluer le rapport de force en Espagne, notamment vis-à-vis du Parti Populaire.

Avec 70 sièges sur 135, la majorité absolue revient au « bloc » indépendantiste constitué de la CUP, d’ERC et du PdeCat (renommé pour l’occasion Junts Pel Cat). Un bloc parti désuni du fait de divergences stratégiques entre Oriol Junqueras et Carles Puigdemont. La campagne s’étant axée sur « pour ou contre l’indépendance », les discours plus « modérés » n’ont pas autant rassemblé que prévu dans les sondages. D’abord Cat Comù, la « Catalogne en commun » soutenu par Podemos et porté par la maire de Barcelone, n’a pas réussi son pari de rassembler autour d’une autre idée que l’indépendance lors des élections. Avec 8 sièges, c’est un échec qui pèse d’autant plus que le parti libéral Ciudadanos a fait de bons résultats à Barcelone ce qui fragilise la position municipale. Ces 8 sièges seront malgré tout utiles aux indépendantistes puisque bien qu’opposés à l’indépendance, la liste était favorable à un référendum légal. Un soutien de plus donc pour négocier un tel référendum auprès du gouvernement.

Le grand favori, Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) a chuté dans les sondages et se retrouve en 3ème position. Privé de son leader, le parti a été mené par la numéro 2, Marta Rovira, une militante chevronnée mais qui n’a pas réussi à imposer un discours un peu plus complexe. Même si le résultat est bon, les Catalans ont semble-t-il « puni » ERC d’avoir choisi de partir désuni. Le parti a récupéré l’électorat qui s’était réfugié auprès de la CUP après une alliance étrange et pragmatique avec le centre-droit pour mener la feuille de route vers l’indépendance, mais il a perdu au contraire une partie de son électorat plus radicalement en faveur de l’indépendance. Soucieux de ne pas briser la société catalane, ERC développait en effet une idée plus mesurée de l’indépendance. Certes, comme les autres formations, il réclamait l’obtention d’un référendum légal, mais il refusait de poursuivre la Déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) contrairement à la CUP et à Junts Pel Cat de Puigdemont. ERC est le plus vieux parti indépendantiste et on ne peut lui reprocher d’avoir abandonné cette idée, mais la société catalane indépendantiste souhaite visiblement un départ plus rapide et moins de compromis. En axant leur campagne sur la démocratie, la direction d’ERC a cherché à faire d’Oriol Junqueras une sorte de martyre, mais cela n’a pas fonctionné aussi bien que prévu. Absent, mais omniprésent car placardé sur tous les murs, Oriol Junqueras ne pouvait même pas s’exprimer depuis sa cellule sous peine d’être accusé de nouveaux faits. Il voit peu sa famille et on comprendrait mal, aux vues des nouveaux résultats électoraux que le pouvoir madrilène maintiennent les prisonniers en détention. La CUP, elle, divise par deux son résultat de 2015, mais a la satisfaction de dire qu’elle dispose d’un siège de plus que le Premier Ministre au pouvoir !

Carles Puidgemont, en revanche, semble le grand vainqueur de cette soirée d’hier. Malgré sa « fuite », il est resté très médiatique et est convaincu qu’il va pouvoir revenir sans difficulté et même reprendre sa place de président. Le problème reste cependant entier puisqu’il est pratiquement certain qu’il soit arrêté dès qu’il posera le pied en Espagne ! Pourra-t-il voter ? Sera-t-il en mesure de s’exprimer à l’Assemblée de Catalogne ? Oriol Junqueras, lui, ne le pourra sûrement pas (même si on l’espère) et a préféré faire confiance à Marta Rovira qui s’exprimera, sauf s’il est libéré, au nom d’Esquerra.

Dernier élément et non des moindres : on constate un basculement à droite de la Catalogne. La chute d’ERC au profit de Puidgemont et la montée en puissance de Ciudadanos vont-elles marginaliser, une fois la crise passée, les idées progressistes ?

Le Peuple breton restera attentif aux évolutions du dossier catalan même si, aujourd’hui, il est difficile de prédire ce qui peut se passer. La seule option démocratique serait que Mariano Rajoy, sans légitimité, marchande un référendum avec les indépendantistes, mais le fera-t-il ? Alors que l’Union européenne persiste à considérer cette crise comme « du ressort des affaires intérieures de l’Espagne », on est en droit de se demander comment ce dossier va prendre fin un jour. Une chose est certaine, le pari de Mariano Rajoy se retourne contre lui et il va devoir tout reprendre depuis le début. De là à dire qu’il s’agissait d’une élection pour rien, il n’y a qu’un pas !

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]