Le nuage qui ne s’est pas arrêté… aux frontières, comme celui de Tchernobyl, c’est le nuage de ruthénium 106 dont on commence seulement à parler vraiment dans les médias alors qu’il a été détecté dès fin septembre par plusieurs réseaux européens de surveillance de la radioactivité dans l’atmosphère.
Tout le monde a entendu parler de l’uranium et du plutonium, ou encore du radon en Bretagne. Probablement aussi, après Tchernobyl, de l’iode 131 et du césium 137, mais quid du ruthénium 106 ?
Le ruthénium 106 est un élément chimique radioactif, d’une demi-vie d’environ 1 an (ce qui veut dire que la moitié disparaît en 1 an, les 3/4 en 2 ans etc. De masse molaire 106 g/mol, proche de celle de l’argent, et de densité 12,1 donc plus lourd que le plomb, il a la particularité d’être malgré tout assez volatil ! Donc dangereux puisqu’à la fois radioactif et inhalable.
En septembre, du ruthénium 106 est détecté dans l’atmosphère d’un certain nombre de pays d’Europe de l’Ouest. Dès qu’il en a eu connaissance, l’IRSN a mobilisé l’ensemble de ses moyens de surveillance radiologique de l’atmosphère et a procédé à l’analyse régulière des filtres de ses stations de surveillance. Mais entre le 27 septembre et le 13 octobre 2017, seuls les stations de la Seyne-sur-Mer, Nice et Ajaccio ont révélé la présence de ruthénium 106 à l’état de traces. Et depuis le 13 octobre 2017, le ruthénium-106 n’est plus détecté en France.
Ce qui veut dire plus de danger, du moins dans l’air France. Donc là n’est pas le vrai problème ! D’où vient le ruthénium ? D’une centrale ? D’un centre de recherche ? Et surtout de quel pays ? Pour l’IRSN, la zone de rejet la plus plausible se situe entre la Volga et l’Oural sans qu’il soit possible, avec les données disponibles, de préciser la localisation exacte du point de rejet. En effet, c’est dans cette zone géographique que la simulation d’un rejet de ruthénium permet de mieux reproduire les mesures obtenues en Europe.
De leur côté, les experts allemands de l’Office fédéral allemand de la radioprotection (BFS) sont plus précis : « le rejet se situerait « à environ 1000 km à l’Est de l’Allemagne dans les montagnes du Sud de l’Oural voire dans d’autres régions russes. » Ce que Rosatom, l’Agence fédérale de l’énergie atomique russe, a formellement démenti dans un communiqué (11 oct.) précisant que « la situation radioactive autour des installations nucléaires russes se situe dans la norme et correspond au fond naturel de rayonnement ».
On peut et on doit se poser la question : qui rejette du ruthénium 106 ? Deux types d’installations en Europe et dans les pays voisins sont « autorisées » à rejeter du ruthénium 106 dans l’atmosphère ou sont « susceptibles » d’en rejeter : les installations liées à la production d’électricité d’origine nucléaire (centrales électronucléaires, usines de retraitement, etc) et les installations liées à l’utilisation du radionucléide dans le domaine médical (réacteurs de production d’isotopes, services de médecine nucléaire, incinérateurs de déchets divers, etc..).
Après les agences officielles qui annoncent que le ruthénium 106 n’est plus détectable dans l’air, qu’en est-il au sol ? Intéressons-nous à ce que dit la CRIIRAD et plus particulièrement Bruno Chareyron, bien connu en Bretagne et plus spécialement dans le Finistère pour avoir travaillé avec Sortir du Nucléaire 29 sur la centrale de Brennilis. On ne reprendra pas ici bien sûr toutes les conclusions que l’on peut trouver sur le site de la CRIIRAD, mais quelques passages :
« [Pour le lieu d’émission des rejets] S’il s’agit bien de rejets émanant d’une installation unique à hauteur de 300 Terabecquerels, cela correspond à une quantité colossale, 300 mille milliards de becquerels est un chiffre, à titre de comparaison, 375000 fois supérieur au rejet annuel maximal autorisé par exemple de la centrale nucléaire de Cruas en Ardèche (pour info 4 tranches de 900 MW). Le ruthénium 106 est un produit de fission artificiel qui, une fois retombé au sol et sur le couvert végétal, va induire une contamination durable, il faut en effet plus d’un an pour que sa radioactivité soit divisée par deux.
Avoir perdu plus d’un mois pour alerter efficacement est une faute grave. En cas de rejet massif de substances radioactives dans l’atmosphère, il faut agir vite pour limiter les doses subies par les populations proches de l’installation incriminée. En l’absence de mesures de protection, les doses subies pourraient avoir dépassées largement les limites sanitaires.
[Pour l’Europe de l’Ouest] Un contrôle systématique des denrées importées n’est pas forcément le plus adapté, en revanche, il est nécessaire qu’un programme de surveillance radiologique spécifique soit mis en œuvre au niveau Européen pour vérifier la contamination par le ruthénium 106 des denrées à risque en provenance des pays incriminés, mais également par d’autres substances radioactives moins mobiles qui pourraient être présentes dans les retombées locales sans pour autant être détectables dans l’air à grande distance. »
Ce qui est sûr, c’est qu’on a pas fini de parler du « Ru 106 ». Une fois de plus, en ce qui concerne le nucléaire, l’opacité est la règle n°1. En 1986, l’opacité était française quand le nuage s’était arrêté aux frontières. Là, l’opacité vient… d’ailleurs. Si comme c’est plus que probable, le nuage vient de Russie, les Russes ne l’admettent pas. Pas plus qu’ils ne sont intervenus dans l’élection de Donald Trump…