Le 1er juillet aura lieu à Rennes l’inauguration de la ligne à grande vitesse (LGV). L’occasion pour Michel François de rappeler quelques éléments historiques oubliés concernant le réseau ferroviaire français.
La mise en service de la ligne à grande vitesse entre Paris et Rennes, honorée de nombreux articles ou suppléments dans nos bons média, m’incite à revenir sur l’organisation des transports en France, ses motivations et ses effets délétères.
Ce domaine est particulièrement révélateur des illusions et des faiblesses entretenues dans les régions par la centralisation des transports, dans un pays qui ne cesse de vanter le dynamisme de l’économie allemande.
Avec les trains directs, le trajet moyen entre Paris et Rennes passera de 2h12mn à 1h40mn, et le trajet le plus court de 2h04mn à 1h26mn. Un gain qui se prolongera en aval sur les temps totaux de parcours.
Dans un pays qui a fait de Paris son unique gare centrale, le gain se répercute aussi sur les trajets entre la partie de la Bretagne desservie via Rennes et les villes françaises ou étrangères situées elles aussi sur une radiale à grande vitesse. En revanche, la rapidité de la radiale ringardise toutes les autres liaisons, dont la durée s’accroît dans les mêmes proportions en termes relatifs. Et en particulier les transversales internes de Bretagne et les transversales inter-régionales. Dans l’état où les priorités françaises les ont mises, ces transversales n’avaient pas besoin de ce nouveau coup du sort.
Dans le souci de préciser mon analyse, j’ai vérifié sur un moteur de recherche connu ce en quoi les temps de trajet annoncés désormais pour la région Bretagne différaient des temps de trajet proposés chez nos voisins allemands. Et j’ai failli tomber de mon siège ! Tenez-vous bien : la capitale bavaroise, Munich (1,5 million d’habitants), est située à 585 km de Berlin, la capitale allemande, soit une distance à peu près égale à celle de Brest par rapport à Paris. Les liaisons ferroviaires Munich-Berlin ne sont pas négligées, puisque pas moins de 40 trains sont proposés pour Berlin au départ de Munich. En combien de temps le trajet est-il parcouru ? Prenez le temps de vous préparer : le temps moyen est de… 7h20mn. Vous pouvez relire… Et le trajet le plus court est de 6h08mn, Le trajet de Munich à Berlin est ainsi long de deux fois à 2 fois et demie le temps de trajet pour Paris visé pour Brest dans un proche avenir. Et pourtant, les élus bavarois ne crient pas misère…
Je ne pouvais m’en tenir là. Qu’en est-il en Allemagne pour une transversale comparable à Brest-Nantes, quoique un peu plus longue, Munich-Francfort (Francfort-sur-le-Main, 730 000 habitants, est la plus grande ville, mais non la capitale, du land de Hesse) ? J’ai été servi, quoique moins brutalement, et dans l’autre sens. La liaison transversale Munich-Francfort (384 km) est plus longue que la liaison transversale Brest-Nantes (295 km), et 18 trains quotidiens sont proposés pour la parcourir. Le temps moyen de parcours est de 3h49mn, et le trajet le plus court est de 3h27mn. Malgré la distance plus grande, la durée du trajet le plus rapide sur Munich-Francfort est inférieure à la durée du trajet le plus rapide sur Brest-Nantes, et il en est de même pour la durée moyenne de trajet !
La conclusion à tirer de ces chiffres est claire : l’Allemagne n’a pas privilégié de façon inouïe les liaisons radiales avec sa capitale, choix qui débouche en France sur la thrombose francilienne engagée dès la deuxième moitié du 19ème siècle, à laquelle on pallie aujourd’hui sans vergogne par des investissements ruineux de « modernisation » (Grand Paris), qui règlent le problème au détriment d’investissements plus utiles ailleurs. Les Allemands ont d’autres problèmes (dont le vieillissement lié aux « économies » sur les dépenses sociales dans l’intérêt des familles, mais ils n’ont pas celui-là et leur dynamisme économique ne paraît pas en souffrir outre mesure.
J’entends certes venir à mes oreilles des arguments comme « Mais on ne peut pas comparer ainsi la France et l’Allemagne, un pays fédéral, plus peuplé, avec de grandes villes ! ». Et je ris de bon cœur. La population allemande a dépassé la population française autour de 1860… avec le développement des transports rapides (ferroviaires en l’occurrence). Jusque-là, elle était inférieure, comme la population de Munich était inférieure à celle de Nantes et celle de Francfort comparable à celles de Rennes et de Brest.
Il ne faut pas confondre causes et conséquences : c’est la centralisation des transports qui a tué le dynamisme démographique et économique de la France, et obligé ses régions à sacrifier leurs atouts humains et économiques pour assurer la domination d’une oligarchie concentrée à Paris. A l’opposé des fantasmes nourris par certains Bretons, les grandes villes et les régions rurales de Bretagne intérieure sont – pour l’essentiel – les victimes des mêmes choix du pouvoir jacobin.