Notre « ami » Richard Ferrand [ndlr: député du Finistère] a bénéficié d’une interview de 6 minutes 38 secondes dimanche dernier sur France 3, le soir, à une heure de grande écoute. Au demeurant excellent, il a cité Camus et ne peut donc, rien que pour ça, être foncièrement mauvais… Et pourtant c’est par là que je commencerai en écrivant qu’ici, comme pour nos compatriotes féminines de chez Gad à Lampaul-Guimiliau, son mentor a fait un mauvais choix soit du contexte chez Gad, soit ici des mots, et de ce fait a trahi Camus en ajoutant ainsi au malheur du monde.
La colonisation en Algérie n’a jamais été un crime contre l’humanité au sens propre de l’expression. Crime contre l’humanité : persécution de masse « commise sur ordre dans le cadre d’une attaque organisée ou systématique contre toute une population civile », selon la Cour pénale internationale. Il s’agit ici bien plutôt de crimes de guerre (ce qui n’est déjà pas si mal…).
Mais, n’en déplaise aux militants avinés ou abêtis – quelquefois les deux mon général – de telle section ou tel secteur de la FNACA, véritables nostalgiques organisés et assumés d’une guerre qui les a méprisés et écrasés quand ce n’est pas anéantis et qu’ils glorifient pour sans doute mieux la remercier, il y a bien eu « colonisation ».
Oui, l’État français a commis des exactions en Algérie. Oui, la colonisation a bien procédé à des confiscations massive de terres autochtones, à des discriminations dignes de l’apartheid. Oui, il est désormais notoire que l’ armée française a commis des actes qui relèvent des crimes de guerre : tortures, appelée la « gégène », répressions aveugles contre des populations civiles, mechtas incendiées et femmes violées…
L’État encore, qui décidément fait bien les choses, a tout fait pour évacuer ces crimes de notre mémoire officielle. Rien dans les archives de la Défense nationale (mais rappelez-moi donc qui en est encore pour quelques semaines à la tête de la grande muette ?). Effacée dans les mémoires des jeunes, cette sale guerre qui ne voulait pas dire son nom (on lui préférait l’expression « maintien de l’ordre »), mais pas dans les mémoires traumatisées de centaines de milliers d’appelés français ni dans celles de nos rapatriés.
Pas étonnant que ces derniers temps, avec Fillon de Sablé notamment, se soit encore accentuée notre relation passionnelle et toxique à l’Histoire. D’un côté, ceux qui, comme frère Fillon de Solesme, voudraient revoir le récit national et imposer dans nos manuels scolaires le rôle positif de la colonisation. De l’autre, ceux qui ne ratent pas une occasion d’invoquer la mystique d’une repentance que réclame depuis plusieurs décennies l’État algérien, ce que vient de faire hâtivement et maladroitement frère Emmanuel.
Justesse face à l’Histoire, mais erreur face aux contingences du moment car, en faisant perdurer un mythe fondateur, celui d’un peuple uni autour du FLN, en maintenant un chiffre fantaisiste d’un million et demi de morts algériens (il y en eut de 300 000 à 400 000, ce qui est de toute façon de trop fussent des fellaghas c’est à dire des résistants), en passant sous silence ses propres exactions, le pouvoir corrompu actuellement en place essaye de garder vaille que vaille sa légitimité (car on peut être un fervent admirateur des fils de la Toussaint et dénoncer les pratiques innommables du régime actuel de l’inextinguible Bouteflika).
Comment sortir de cette instrumentalisation de l’Histoire qui ne fait qu’alimenter la guerre des mémoires et attiser, comme si besoin était par les temps qui courent, les haines internes ?
Sûrement pas à l’occasion d’une tournée préélectorale où la démagogie n’a d’égal qu’un racolage honteux. Peut-être en quittant les incantations abstraites et les condamnations précipitées pour faire la place à l’ évocation de faits précis ? C’est un peu ce que fit – et pourtant il ne fut pas lui non plus un parangon de vertu – Chirac à propos de la rafle du Vel d’Hiv à Paris en 1942 (épisode tragique où se distinguèrent éhontément les forces de l’ ordre françaises).