La tragi-comédie de Vannes Agglo

agglo vannes

Comediante ! Tragediente ! En deux mots, voici résumé la mise en route de la toute nouvelle communauté d’agglomérations « Golfe du Morbihan Vannes Agglo ». Un mastodonte ne regroupant pas moins de 34 communes et près de 170 000 habitants. Jean-Christophe Cordaillat explique le déroulement de l’élection et ce qui était en jeu…

Et on ne peut pas dire que cette naissance fut une partie de plaisir. Entre querelles politiciennes, ambitions personnelles et un intérêt envers le bien du citoyen plus que discutable, la nouvelle entité eut besoin de tout le mois de janvier 2017 pour se former et commencer à fonctionner… comme elle pouvait.

Communautés d’agglomérations : si influentes sur le citoyen et pourtant si éloignées

Dans le cadre de la fameuse loi « NOTRe », votée en 2015, il est question de décentraliser le pays afin de réaliser ainsi d’importantes économies et d’avoir une meilleure prise en compte des besoins du citoyen. Voilà pour la théorie. Pour la pratique, cela donne en réalité la mise en place d’une architecture du pays entier au profit, toujours, de l’État central et centralisé. On regroupe les communes entre-elles via les communautés de communes sous prétexte qu’ainsi, elles seront plus fortes économiquement. Pendant ce temps, les subventions de ces dernières baissent ! Ceci augmente le besoin de regroupement, d’interdépendance entre les territoires, mais surtout renforce la dépendance envers l’État pour survivre.

Devant l’échec du centralisme à la française, il fallait bien, malgré tout, se résoudre à lâcher un peu la bride aux institutions locales. Ces nouvelles agglomérations permettent non seulement au pouvoir de garder la main mise sur le territoire, mais aussi de contrôler davantage les petites communes trop souvent éloignées de l’influence et de l’idéologie des élites parisiennes.

Car à travers ce système, les citoyens savent-ils que vient d’être élu, le 1er janvier 2017, en petit comité de « chers amis », ni plus ni moins que le véritable maire des 34 communes de Golfe du Morbihan Vannes Agglo ? Que vous soyez de Vannes, d’Arzon, de Grand-Champ ou du Bono, celle ou celui qui fut élu lors des élections communales et qui est pour les français leur plus proche représentant, le seul auquel les gens arrivent encore à s’identifier, n’a pratiquement plus de marge de manœuvre face à ce nouveau « Hyper-maire » désigné sans participation citoyenne. Le poids de l’État sur nos communes via les préfectures était déjà une anomalie démocratique, mais à présent les maires ne sont plus que des ersatz d’un lointain passé où les citoyens pouvaient encore penser avoir un minimum de contrôle sur leur vie. Il serait abusif de prétendre qu’ils n’ont plus le moindre pouvoir bien sûr, mais celui-ci est régulé par un nouveau pouvoir supérieur.

Une naissance dans la douleur

C’est en octobre 2016 que le préfet présenta le projet de fusion de treize communautés de communes en Bretagne. Le but était de se mettre en conformité avec la loi NOTRe imposant des collectivités de plus de 15 000 habitants en 2017. Pour se faire, trois communautés déjà préexistantes allaient être réunies : Vannes agglomération, Communauté de communes de la Presqu’île de Rhuys et Loc’h communauté. Et si les élus de Vannes Agglo se prononcèrent sans difficulté pour la fusion, il en fut autrement des autres.

Devant une telle menace, Loc’h communauté s’empressa de se retourner vers ses voisins Locminé Communauté, Saint-Jean-Brévelay Communauté, voir Baud Communauté. Car pour les élus du Loc’h, il était simplement illogique de fusionner avec Vannes, leurs communes étant tournées vers la terre et non la mer. Mais devant le manque de soutien des autres communautés, Yves Bleunven, maire de Grand-Champ, demanda aux conseillers communautaires de soutenir la fusion avec Vannes Agglo.

En ce qui concerne la Communauté de communes de la Presqu’île de Rhuys, malgré son excellente santé économique (contrairement à Vannes Agglo de plus en plus dans le rouge), la sanction fut sans appel : « trop petite, vous ne pouvez pas rester dans votre coin ».

Comme le précisa Pierre Le Bodo, ancien Président de Vannes Agglo, lors du conseil de fusion le 29 septembre 2016, face aux premiers désaccords dans la mise en place de la nouvelle entité : « Je vous rappelle que nous n’avons pas voulu cette fusion, qu’elle est imposée par la loi NOTRe. Nous avons choisi un comité de pilotage restreint et nous en rendons compte régulièrement. La démocratie est un exercice difficile. Il y a des blocages, mais j’essaie de garder le cap ».

Durant tout le processus de création, jusqu’au 1er janvier 2017, c’est donc à couteaux tirés que les élus ont tenté d’organiser une institution dont la plupart ne voulaient pas : conflit sur le coût des études engagées pour la fusion qui fut jugé excessif du fait du manque de cohésion, manque de transparence dans la mise en place de la nouvelle organisation, certains élus n’étant pas consultés, projet fou du vélodrome Arena à Sarzeau pour un financement à… 25 millions d’euros qui n’en finit plus de déchaîner les passions, mais plus encore la prévision des charges de fonctionnement de la future communauté variant de 400 000€ par an à… 4 millions !

On peut surtout voir ici le désespérant résultat d’une loi qui impose à des collectivités totalement différentes les unes des autres à fusionner contre leur gré et contre toute logique organisationnelle. En découpant aveuglément les territoires à travers une représentation chiffrée et nul autre, et surtout en ne leur laissant pas leur libre arbitre quant à leur avenir et leur choix, l’Etat va à l’encontre de tout ce qui fait une réelle synergie : la prise en compte de la géographie, de la culture locale, des économies divergentes et surtout, de l’envie des individus.

Le 1er janvier 2017 fut instaurée officiellement « Golfe du Morbihan Vannes Agglo ». Pierre Le Bodo, élu nouveau Président de la structure dans des conditions ubuesques, déclara à cette occasion que « cela se fit dans la douleur mais nous sommes maintenant en conformité avec la loi ». Le tout serait maintenant de savoir si la loi, elle, est en conformité avec la démocratie !

La Démocratie dans les sabots

Ce 1er janvier, une centaine de personnes se pressent au siège de l’agglomération flambant neuve pour trouver portes closes : il n’y a pas assez de places, à peine pour les élus. C’est donc dans le hall d’accueil que sont installés une télévision et des chaises pour les quelques contribuables conscients du fait que cette élection désignera ni plus ni moins que leur « hyper-maire ».

Les candidats dans les starting-blocks sont Pierre Le Bodo (UDI), ancien Président de Vannes Agglo, Luc Foucault (divers gauche), maire de Séné et enfin, le grand champion des Républicains, ami personnel de Nicolas Sarkozy et maire de Sarzeau, David Lappartient.

Avant de commencer le vote, les festivités débutent par les interventions des candidats et déjà les premiers coups de canifs sont donnés. Notamment par le maire de Séné accusant des pressions politiques multiples sur lui et ses proches collègues. Aucun nom n’est cité mais toutes les têtes opinent en direction du champion des Républicains. D’ailleurs, tout le monde semble savoir aussi que David Lappartient vise également les sénatoriales. Incompatible avec la fonction de Président de l’agglomération. Interrogé sur le sujet… il botte en touche.

Le premier tour laisse derrière lui Luc Foucault qui obtient 17 voix. Avec ses 41, David Lappartient pense le bal déjà clôturé car devançant de 10 voix Pierre Le Bodo, il ne peut imaginer le coup de théâtre à venir. Pourtant, conservant ses 41 voix du premier tour, le maire de Sarzeau s’incline à la surprise générale devant Pierre le Bodo qui récolte non seulement les 17 voix de gauche, mais également le vote nul du premier tour venant certainement du seul conseiller FN de l’assemblé et remporte la mise avec 49 voix !

Le coup est dur pour le camp Lappartient, la tension est palpable et la séance reportée à la semaine prochaine pour l’élection des vice-présidents. Ce n’est que le début. Les critiques du camp malheureux ne tardent pas. Pour David Lappartient, rejoint ensuite sur cette pensée par le maire de Vannes, David Robo, et le Président du conseil départemental, François Goulard, Le Bodo est illégitime car « il gagne avec le soutien de la gauche et du Front national ». Pour eux, sa position est intenable. L’objectif est dès lors net, Le Bodo doit démissionner !

Prendre le pouvoir à tout prix

Pendant que Lappartient tente de faire invalider le scrutin auprès des instances étatiques, une note de ce dernier adressée à Jean-Yves Le Drian fait irruption dans la presse. C’est une bombe, où le maire de Sarzeau écrit au Président de région de clairement faire pression sur des élus de gauches afin qu’il n’y ait pas de frein à la réalisation du projet de vélodrome Arena. L’intéressé déclare simplement qu’il assume et fin de la parenthèse. Dégagez, il n’y a rien à voir…

À peine est-elle née que des politiciens aux dents longues veulent imposer leur loi sur l’agglomération. Ce type d’organisation est un tremplin idéal pour de plus hauts horizons et pour diriger un territoire entre « bons amis ». Le plan semble très clair : Goulard à la tête du département, Lappartient à celle de Golfe du Morbihan Vannes Agglo, il n’aurait plus fallu qu’attendre que ce dernier soit élu sénateur en septembre pour qu’un autre obligé de Goulard s’empare du bébé décidément bien tenu en main, le maire de Vannes, David Robo. Une source présente à ce moment rapporte que François Goulard aurait déclaré lors de la dernière assemblée générale des Républicains du Morbihan : « Nous avons le département, nous aurons l’agglo » ! Dans de telles conditions, il est certain que tout est bon pour pousser Le Bodo dehors et prendre les commandes.

Les vice-présidents

C’est donc dans une atmosphère nauséabonde que débute ce 17 janvier l’élection des vice-présidents. En toute logique, David Lappartient attaque immédiatement la façon dont a été élu Le Bodo en hésitant pas de parler de forfaiture. Il accuse une position impossible à tenir, un manque d’ouverture de la part de nouveau Président. Il oublie de préciser que Le Bodo, apparemment conciliant, lui avait proposé ainsi qu’à David Robo de siéger avec lui en tant que vice-présidents. Refus catégorique des intéressés qui s’empressent de présenter leur propre liste.

Les élections s’enchaînent et voient tous les candidats de la liste le Bodo être élus les uns après les autres. C’est sous la férule du maire d’Arradon que se joue un énième coup de Trafalgar. À 22h34 et après 5 élus pour la liste Le Bodo et aucun pour la liste Lappartient, Antoine Mercier dénonce une alliance entre Le Bodo et la minorité. « Dans ces circonstances, nous avons estimé qu’il n’était pas possible de continuer. Nous quittons la salle » déclare-t-il. Et aux 41 élus concernés de lier l’acte à la parole. Ceux restant ne peuvent que constater le quorum insuffisant pour poursuivre l’élection. La séance est reportée au 25 janvier.

En dehors de l’amphithéâtre, le public est consterné et ne comprend pas que leurs représentants s’adonnent à ces tristes jeux. Les élus Lappartient ayant décidé de partir de l’élection ne semblent pas comprendre la circonspection des citoyens qui les attendent à la sortie de l’hémicycle.

Et c’est là que l’on atteindra l’apothéose de cette affaire. La droite, blessée dans son orgueil et dans ses ambitions commence à perdre les pédales. Elle décide de frapper fort, très fort même. Mais contre leur propre camp ! C’est le grand maestro des Républicains du département, François Goulard lui-même, qui ouvrira à nouveau les hostilités en supprimant dès le lendemain les délégations de Nadine Frémont, Yves Bleunven et Gérard Gicquel au sein du conseil départemental. En cause, le fait que ces élus aient décidé de rejoindre la liste Le Bodo et de voter contre leurs collègues se présentant sur celle de Lappartient. « Je considère dès lors que ces trois personnes ne peuvent plus se réclamer de la majorité départementale » déclarera-t-il. En somme, François Goulard semble bien confondre sa présidence chez le Républicains et sa présidence au département comme le confirmera Yves Bleunven : « Nous ne sommes pas les pions de Goulard ». Ce dernier parle également de très fortes pressions qu’il subit depuis plusieurs semaines avec ses collègues.

Faisant suite à son mentor, c’est au tour du maire de Vannes de retirer leurs délégations à Pierre Le Bodo, Odile Monnet, François Bellego et Jean-Christophe Auger. Il précisera que c’est « une trahison de voter contre ses collègues ».

Entre temps, le trio qu’il forment avec David Lappartient ne cesse de claironner à propos de cette situation ingérable, que le Bodo est pris en otage par la minorité de gauche, qu’il doit démissionner et que cela se traduira par de graves répercussions sur le fonctionnement de la communauté. Surtout si c’est eux qui s’en chargent, voudrions-nous leurs répondre ! Pendant ce temps, Pierre le Bodo affiche tranquillement ses soutiens. Tel MacMahon à la prise de Sébastopol, le message qu’il envoie est clair : « J’y suis, j’y reste » !

Le naufrage final de la droite morbihannaise ?

Ce mercredi 25 janvier, on sent bien les tensions dans l’hémicycle. Après les quelques joutes verbales de rigueur, le vote pour désigner les derniers vice-présidents reprend. Or, au fil des dépouillements, le malaise s’installe à droite. Si à la dernière séance, l’écart entre les votes restait stable aux alentours de 49 contre 42 voix pour la liste Le Bodo, là, il se creuse pour atteindre une différence de 51 contre 35 en faveur de la même liste. Le doute n’était plus de mise : il y avait clairement défection des soutiens de la liste Lappartient. Seule Dominique Vanard est élue pour la liste Lappartient car son adversaire se désista afin que la presqu’île de Ruys puisse avoir une représentation. Mais ce sera en obtenant 44 voix contre… 46 nuls ne venant pas de la liste Le Bodo mais bien de celle dont l’adjointe de Sarzeau est représentante. Une nouvelle traîtrise punie ?

Suite au vote, un élu réfractaire, que l’on ne désignera pas, nous précise à propos de la liste Lappartient : « Nous avons été manipulés. On s’en ait rendu compte » !

Vu de l’extérieur, on ne peut que rester interrogatif devant cette drôle de stratégie de la droite morbihannaise qui consiste à liquider tous ses pions dans une bataille. Cette situation entraîne une particularité dans cette 1ère circonscription du Morbihan : l’alliance entre Les Républicains et l’UDI est désormais fragile, très fragile même. Si bien que l’on se dirige vers une primaire pour connaître le représentant pour les futures élections législatives. Alors que François Goulard semblait le candidat désigné d’office, Odile Monet, pour l’UDI, ancienne adjointe au commerce de Vannes démise de sa fonction pour s’être faite élire sur la liste Le Bodo, décide de s’opposer à l’ancien Ministre de Sarkozy. L’UDI dénonce l’attitude de Goulard qui veut mettre tout le monde au pas et avec qui il est simplement impossible de discuter. Très clairement, François Goulard et ses alliés perdent des soutiens. L’autoritarisme qui s’exerce depuis plusieurs années sur les membres du parti et de l’UDI a fini d’user les patiences. Certains parlent même de candidatures séparées entre Les Républicains et l’UDI.

> Jean-Christophe Cordaillat-Dallara

Jean-Christophe Cordaillat-Dallara est un militant de l’UDB.