Le syndrome « Jospin » du Parti socialiste

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Tout électeur de gauche ayant connu le désastre du 21 avril 2002 a subi un traumatisme. C’est de ce traumatisme qu’est né le « vote utile », ce vote anti-démocratique ayant comme seul argument pour convaincre la peur. C’est aussi de cette défaite de Lionel Jospin que s’est développée l’idée préconçue et fausse qui consiste à dire qu’il faut être « unis pour gagner »…

Souvenez-vous ! Au soir du 1er tour de l’élection présidentielle de 2002, Jospin termine troisième. Son discours d’alors avait marqué les esprits puisqu’il avait annoncé dans un discours de 5 minutes à peine qu’il se retirait de la vie politique, provoquant la stupeur des militants présents. Mais contrairement à ce qu’il annonçait alors, Lionel Jospin n’a pas « assumé » sa défaite. En deux phrases, il trace l’avenir du parti socialiste en accusant la droite de « démagogie » et la gauche de s’être « dispersée ». C’est ce qui forge la ligne de ce parti depuis : dans l’opposition d’abord en jouant l’anti-droite primaire, la posture idéologique, sans jamais préparer le « retour aux affaires » de 2012 (dû à l’alternance et au rejet de Nicolas Sarkozy plus qu’à un réel engouement pour François Hollande). Puis, lors des campagnes électorales en cherchant à réduire le nombre de ce qu’il considère désormais comme des « concurrents » : les autres partis de gauche.

C’est justement le rôle principal de ces « primaires ouvertes » apparues en France en 2011. Alors que jusqu’à 2007, les seuls adhérents du PS pouvaient voter, celles de 2011 ont permis à l’ensemble du corps électoral français d’y participer moyennant une somme modique. Ce faisant, le PS assurait une légitimité à son candidat en écrasant les courants minoritaires de la gauche qui acceptaient de se prêter à ce jeu de dupes (PRG en 2011, PRG et écologistes en 2017). Mais plus que tout, il monopolisait le temps d’antenne médiatique. Une véritable réussite dont le but assumé est de parvenir ce que la droite faisait depuis longtemps : « partir unis » ! La gauche compte en effet d’innombrables obédiences, elles-mêmes divisées : de l’anarchisme à la sociale-démocratie, en passant par le communisme ou le socialisme. Difficile de concilier autant de différences dès le premier tour. C’est justement là que réside mon profond désaccord avec cette stratégie de l’échec du PS : ce dernier croit toujours que c’est unis que l’on gagne. Certes, il faut savoir s’unir, mais cette union se décide (ou non) au second tour. Nul besoin d’être unis pour se qualifier au premier tour : il faut juste être convaincant ! Ensuite commence le temps des négociations. Mais là encore, le PS, habitué à l’hégémonisme, raisonne mal : il estime qu’étant le plus gros parti, tout le monde doit se ranger naturellement derrière lui. Domination classique qui lui coûte cher aujourd’hui. La « primaire citoyenne », d’ailleurs, a plutôt divisé qu’elle n’a unit la « famille » socialiste. En témoigne les fuites des adhérents et/ou cadres vers chez Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon…

Le soir même de son investiture, le désormais candidat à la présidentielle du parti socialiste Benoît Hamon a fait un appel au rassemblement de la gauche et des écologistes. Il oublie que la gauche est diverse et que jamais le parti socialiste n’a su respecter cette diversité jusqu’à présent. En ce qui concerne le courant fédéraliste représenté par ce journal, on peut même dire qu’il a été, depuis Mitterrand jusqu’à Hollande, purement et simplement méprisé. En témoigne la calamiteuse réforme territoriale qui en dit long sur la confiance accordée aux territoires et aux citoyens qui y vivent. Il oublie aussi que certains courants sont irréconciliables tant leur vision de la société est opposée. Il s’agit donc pour Benoît Hamon de choisir la ligne qui sera la sienne, non dans un consensus mou, mais en assumant un discours clair et tranché qui plaira aux uns et mécontentera les autres.

En 2002, Jospin était bel et bien responsable de son échec car c’est lui qui a été incapable de convaincre de la pertinence de son projet. En faisant campagne sur le terrain de ses adversaires politiques qui n’ont eu de cesse de parler de sécurité, en étant trop sûr de lui-même et en méprisant le premier tour, il s’est lui-même tiré une balle dans le pied. La Vème République est injuste, nous le savons, mais qui en a édicté les règles ? Et pour qui ? Alors que le FN de Jean-Marie Le Pen faisait près de 17 % au premier tour de 2002, on sait d’ores et déjà que celui de Marine Le Pen réalisera un bien meilleur score… N’est-ce pas d’abord cela l’échec du Parti socialiste ?

La raison est simple : le PS a abandonné le débat d’idées pour un pragmatisme économique qui n’a même pas fait ses preuves, il a trahi ses promesses de campagne envers tous ses alliés potentiels ou traditionnels continuant de gouverner seul… et de plus en plus isolé ! Pire, il laisse le terrain social à la droite par dogmatisme en refusant de se « salir les mains » : les travailleurs, ceux qui ont fait naître le socialisme, sont aujourd’hui délaissés pour des discours de technocrates bien loin de leur préoccupation de tous les jours.

Un seul exemple en Bretagne : le mépris de classe qu’ont connu les « bonnets rouges » par exemple est symptomatique d’une gauche qui refuse de se confronter à la réalité, au peuple dans sa diversité. La « crédibilité », puisqu’il en a été question durant le débat de la primaire opposant Manuel Valls à Benoît Hamon, suppose de ne pas appliquer les mêmes recettes partout. Le centralisme n’est en effet ni de gauche, ni écologiste ! Et pourtant, l’éco-taxe (uniforme sur l’ensemble du territoire français) était défendue bec et ongle par les barons socialistes et écologistes. Il fut un temps où l’éloignement (du centre) générait des compensations, cet éloignement est aujourd’hui pénalisé… plusieurs fois ! Malgré cette injustice crasse, que n’a-t-on pas entendu sur ces culs terreux de Bretons, pollueurs et égoïstes ! Je m’autoriserais ici un petit parallèle historique : le marquis de la Rouërie, avant d’être l’instigateur de la chouannerie, était un héros de la Révolution américaine bien plus connu que Lafayette. Mais pour l’Histoire officielle française, c’est un contre-révolutionnaire ne méritant pas sa place au Panthéon. Il défendait simplement une autre idée de la République : une idée qui a perdu. D’où son ralliement au roi… Pensez, messieurs les socialistes, ce qu’il advient des « culs terreux » que vous insultez ! « L’extrême injustice consiste à paraître juste tout en ne l’étant pas ». Cette citation de Platon convient parfaitement au PS, centralisé et hégémonique. Le ressort du vote FN pour les électeurs jadis de gauche n’est finalement pas si compliqué à comprendre…

Aujourd’hui, changer la donne sans remettre en cause le système supposerait a minima d’instaurer une proportionnelle, voire des élections législatives à un seul tour permettant à toutes les formations d’avoir une chance réelle de l’emporter. La proportionnelle a été refusée pour faire barrage au FN, la mettre en place permettrait aujourd’hui de s’en débarrasser à moyen terme en créant d’autres options pour ceux qui ne savent pas comment sortir du bipartisme. Elle favoriserait qui plus est l’émulation et le débat d’idées plutôt que la cuisine politicienne. Mais les idées ont-elles encore un avenir dans une société qui ne pense plus ? Jospin a préféré l’anathème à l’autocritique. Le PS en paye toujours les conséquences. Et la gauche avec lui…

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]