Rojava : une révolution « moléculaire »

Engin
Engin Sustam

Vendredi 13 janvier avait lieu au centre d’études ERMINE de l’université de Rennes 2 une rencontre avec Engin Sustam, un kurde de Turquie exilé en Suisse. Son propos traitait de la révolution en cours au Rojava (Kurdistan « syrien »). Le Peuple breton y était invité…

Depuis la désormais célèbre bataille de Kobané qui a duré plus de 9 mois (septembre 2014-juin 2015), tout le monde a entendu parler du Kurdistan et de ses vaillants combattants des unités de protection du peuple (YPG). Ce sont eux qui, depuis le début du conflit en Syrie, sont aux premières lignes face à l’État islamique, mais aussi face au régime de Bachar Al-Assad et celui de Recep Tayyip Erdogan en Turquie. Dans la partie syrienne, cette guerre a eu un coût extrêmement important puisque le territoire a perdu près de la moitié de sa population depuis le début du conflit passant de 3 millions à environ 1,5 million d’habitants (exils, décès…).

Menacés de toute part, les Kurdes du Rojava ont du s’organiser sans structure étatique jusqu’à devenir un véritable laboratoire idéologique [lire aussi l’article paru dans Le Peuple breton de juin 2015]. Pour Engin Sustam, il a d’abord fallu faire évoluer la sémantique qui était représentative d’un hégémonisme. « La lecture politique des mouvements sociaux a changé. Le penseur de la révolution, Abdullah Occalan, a transformé le mouvement marxiste-léniniste en mouvement auto-gestionnaire », explique-t-il. « Le vocabulaire doit s’adapter à nos objectifs en matière d’écologie sociale ou de féminisme. C’est même devenu l’objet de blagues chez nous puisque nous n’avons plus de « sous-chef » ou de « sous-commandant », mais des « co-maires » ou des « co-présidents ». L’utilisation même du mot « Rojava » qui veut dire « ouest » est récente. Dans les années 90, on l’appelait le « petit Kurdistan ». C’était un lieu d’exil des militants kurdes du PKK qui devaient fuir le régime turc. Aujourd’hui, on utilise les termes géographiques plutôt que les termes nationalistes. »

Les révolutionnaires Kurdes ont inventé un nouveau contrat social pour le Rojava qui a pour ligne l’abolition des oppressions. « La langue kurde ayant été maltraitée, il nous paraissait normal de chercher à l’émanciper et avec elle toutes les langues minoritaires ». Critique envers la Révolution française « jacobine », Engin explique au contraire que la révolution kurde s’appuie sur les penseurs anti-colonialistes comme Franz Fanon, les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari ou encore sur l’écologiste américain Murray Bookchin. « Nous mettons en avant le principe de l’écologie sociale, c’est à dire de la mise en commun de l’eau, de la terre, de l’énergie. Ce n’est ni une révolution prolétarienne, ni une révolution nationale, mais une « révolution moléculaire » (Félix Guattari) ». L’inverse donc d’une démarche autoritaire ou même privative.

« En Turquie, le mouvement kurde a arraché 95 % des sièges électifs au Kurdistan. Il a effacé l’AKP et le MHP. Le HDP dit en substance : « Nous, les exclus, nous avons le désir de récupérer notre avenir » », explique Engin. Avant d’ajouter : « notre avenir, pas le pouvoir ». On comprend mieux la haine que porte le président turc à ce parti politique et plus généralement aux Kurdes. Ils sont bel et bien la clef du conflit au Moyen-Orient, les seuls qui proposent un projet de vie en communs et non une guerre des uns contre les autres…

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]