Et si François était la clef ?

François 1er, tableau de Joos Van Cleve.
François 1er, tableau de Joos Van Cleve.

J’en vois déjà qui se demandent de quoi je veux parler. Il y a ceux qui s’interrogent et pensent peut-être que j’ai décidé de passer à droite. Il y a ceux qui se demandent si j’encourage le sortant à se représenter. Il y a peut-être ceux qui pensent que je me la joue à la béarnaise, en estimant que le recours est à Pau. Il n’y a rien de tout ça dans mon propos ! Je m’aperçois tout simplement que François est un prénom qui porte chance. En 58 ans de cinquième République le président s’est appelé François durant vingt-et-un ans (Mitterrand pendant quatorze et Hollande pendant cinq). Il faut y ajouter les onze années durant lesquelles le président s’est appelé De Gaulle. Vous voyez où je veux en venir ? L’identification de l’homme au pays ! D’ailleurs je me demande si Nicolas Sarkozy n’aurait pas mieux fait, pour sa communication, de parler de « nos ancêtres les gaullistes » !

J’ajoute que Fillon s’appelle François et que Bayrou s’appelle aussi François. Ça fait beaucoup de François pour un débat électoral !

En tous cas, assez pour imaginer que dans l’inconscient collectif — qui est un élément important dans le comportement électoral — le fait de s’appeler François pourrait être un atout. François c’est un prénom qui résonne dans l’inconscient de ceux qui ont été nourris par le roman national, qui ont été socialisés politiquement dans une certaine idée de la France.

Que François soit une forme historique du mot « français » et du mot « franc » est une réalité. Je me souviens même que le prénom a été associé à la francisque… Bon, je deviens mesquin.

Je ne crois pas à un quelconque déterminisme qui serait lié aux prénoms et je suis peu sensible à l’idée qu’ils auraient une influence sur le comportement des individus qui les portent. Je sais que certains y croient mais je n’adhère pas à cette thèse. En revanche, je me contente de dire que ce prénom peut avoir une petite influence sur la perception que peut avoir un groupe humain d’un individu médiatisé, en fonction des éléments culturels évoqués auparavant. Et quand on sait que 1 % suffit à faire basculer une élection, vous comprenez mon raisonnement face à la résonance éventuelle du prénom dans l’inconscient collectif.

La socialisation politique des enfants a été étudiée par des sociologues et les symboles comptent beaucoup dans la formation du citoyen et de son comportement. L’enseignement de l’histoire, (son appréhension et sa caricature parfois) est à l’origine de mythes puissants. Les mots, les images et leur résonance pèsent parfois lourd.

Quand on sait le niveau de connaissance de l’histoire en France, je crois que ça peut être influent dans le débat politique. Par ailleurs je note que la façon d’enseigner l’histoire fait aussi partie de la campagne électorale et, qu’à gauche comme à droite, on plaide en faveur du retour au « roman national » parfois bien éloigné de la vérité historique. En cela j’adhère à l’idée que les politiques n’ont pas à se mêler de faire les programmes des professeurs d’histoire.

Alors certes, de s’appeler François n’est pas la martingale qui assure le succès dans une élection présidentielle, mais qui sait si ça n’est pas utile en cette période d’instrumentalisation souvent abusive de symboles nationalistes (Jeanne d’Arc par exemple, le mythe Charles Martel, etc…). Je me rappelle même que lors de l’élection du dernier Pape certains médias français, en quête d’un commentaire, avaient noté que le Pape avait choisi un prénom qui le liait à la France ! Oui, c’est assez pauvre comme commentaire, et un peu nombriliste.

François est aussi un prénom à l’origine d’un débat tout à fait intéressant sur le plan linguistique. Allez, souvenez vous de 1539 et de l’Édit de Villers-Cotterêts. Ce texte — que ceux qui s’affirment plus républicains que la République ne cessent de nous sortir— a été signé par un roi qui s’appelait François. Oui, même Mélenchon, de son prénom Jean-Luc, estime qu’il s’agissait d’un progrès dont il se félicite d’être un des continuateurs. Le texte de l’Édit de Villers-Cotterêts dit à propos des textes officiels, que le roi ordonne qu’ils soient « prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement ».

A propos de ce texte on a beaucoup débattu. On s’est beaucoup interrogé pour savoir s’il s’agissait de lutter contre le latin ou contre les autres langues parlées dans le royaume, particulièrement l’occitan. Deux textes antérieurs à Villers-Cotterêts et traitant du même sujet (1) ne comportaient pas le mot « françois ». Le premier disait « vulgaire et langage du pais » et le second « langue vulgaire des contractants ». Ce n’est que dans le troisième que l’on évoque le « françois » donc le français. Étrangement le nom de la langue est aussi le nom du roi qui signe le texte !

Cela signifie t-il que le roi exigeait que l’on écrive dans sa langue maternelle ? Oui, puisqu’il est le royaume, qu’il s’y identifie. Villers-Cotterêts est bien la décision d’un François pour que le français soit la seule langue administrative. L’article 2 a complété tout cela et c’est un François qui était président, mais là c’est un élément anecdotique.

Je remercie ici mon père avec qui j’avais eu une discussion au sujet de Villers-Cotterêts quelques jours avant sa mort. Nous avions débattu à propos de la confusion du nom du roi, de la langue et des habitants du royaume. C’est lui qui m’avait sensibilisé quelques années auparavant à l’analyse des comportements politiques et électoraux tout comme il m’avait fait lire quelques ouvrages sur l’inconscient collectif. Il ne faisait aucun doute pour lui que le texte de François 1er avait pour but d’imposer le « françois », la langue d’Oïl, contre sa concurrente la langue d’Oc.

Après cette digression je reviens à mon sujet de départ. Vous pouvez me trouver un peu léger en évoquant l’impact d’un prénom sur le comportement des électeurs. Mais, encore un petit argument : regardez le logo que François Fillon utilise. C’est un F majuscule en bleu, blanc et rouge. Le F de Fillon, le F de François et le F de France. Si les communicants y ont pensé, s’ils ont décidé de se servir de ces éléments de communication, c’est bien qu’ils estiment que ça leur est utile.(2)

Bon maintenant il y a une élection en vue et je me demande si les sujets qui intéressent les François se confondent avec ceux qui intéressent les Français.

Je vais m’arrêter là. Je suis inquiet, parce qu’avec un tel raisonnement je pourrais dériver sur la popularité de personnalités politiques qui s’appelleraient par exemple… Maréchal. Je n’ose imaginer ce que je trouverais si j’explorais alors l’inconscient collectif. Je ne suis pas sûr que ça me plairait.

(1) ordonnance de Louis XII en 1510 et lettres patentes de François 1èr en 1531. J’ajoute un texte postérieur à 1539 qui est celui d’octobre 1620 dans lequel Louis XIII annexant le Béarn ordonne que le « langage françois » soit celui des écrits du Parlement de Pau

(2) Regardez qui a voté pour François Fillon et comparez leur âge avec les statistiques du prénom François. Ce prénom est en baisse depuis le début des années 80 mais il était très prisé depuis le début du XXème siècle. Il a même été donné de façon encore plus importante entre 1945 et 1980. La moyenne d’âge de ceux qui le portent est de 70 ans.

> David Grosclaude

David Grosclaude est ancien conseiller régional en Occitanie. Il s'est illustré notamment comme un élément clef pour l'ouverture de l'Office public de la langue occitane (OPLO) en menant une grève de la faim.