Il est rare que Le Peuple Breton traite de l’actualité footballistique : le sujet n’est pourtant pas moins intéressant. A travers le sport, et le football en l’espèce, se transmettent des valeurs et s’exprime une certaine vision de l’entraide, de l’investissement, et des projets. Longtemps considéré comme un club à part dans le monde du football professionnel français, tant du point de vue de l’identité de jeu – le fameux jeu à la Lorientaise – que du projet de club, la fin de l’ère Christian Gourcuff a marqué une rupture. Le récent licenciement de Sylvain Ripoll, passé en 20 ans par toutes les fonctions au sein du club (joueur, entraîneur-adjoint puis entraîneur depuis 2014 après le départ de Christian Gourcuff) nous laisse à penser que le club est soudain devenu un club « normal », bien aidé dans cette quête par le Président-businessman Loïc Féry. A-t-on signé définitivement l’acte de décès de “l’esprit” FCL ?
Le Football Club de Lorient n’est pas un club ordinaire, ce qui en faisait la fierté de ses supporters et de la catégorie des amoureux du football. Cette singularité n’est pourtant pas si ancienne, même si sa création en 1926 par « Madame Cuissard », arrivée de Saint-Etienne pour reprendre une activité de Mareyage à Keroman, a donné lieu à l’attribution à cette époque de deux symboles encore présents aujourd’hui : le surnom des « Merlus » et les couleurs Tangos et Noirs de l’équipe.
Christian Gourcuff, le symbole de l’esprit FCL
Non, aujourd’hui, si l’on s’enthousiasme pour le FC Lorient, c’est aussi et surtout pour autre chose. Cette impression que le club n’a pas (ou peu) suivi l’évolution du foot-business des années 90 et 2000 et est resté un club familial, avec une identité de jeu maintenue au fil des ans, et un esprit davantage tourné vers le sport que vers l’argent. Tout ceci symbolisé par un homme : Christian Gourcuff.
Inutile de revenir sur l’histoire et la carrière du personnage, tout a été dit et redit à son sujet. Il a incarné sans doute ce qui s’est fait de mieux dans le milieu du football des dernières années : la recherche du plaisir dans le jeu. Pour les joueurs, pour l’entraîneur, mais aussi pour les spectateurs. Ce jeu de passes courtes et rapides, à une touche de balle, toujours tourné vers l’avant. Cette recherche de la perfection, parfois au détriment de la performance et du résultat. Une défaite valait parfois davantage qu’une victoire : qu’y-a-t-il de plaisant à remporter un match insipide sur le score de 1-0 ? Certains vont diront que « tout ce qui compte, ce sont les trois points ». D’autres admettront à regret que le spectacle a été d’un ennui total. Inutile de préciser à nouveau dans quelle catégorie se situait Christian Gourcuff.
Autre qualité du personnage (qui comporte toutefois des défauts, il ne s’agit pas ici de le traiter comme un demi-Dieu) : l’humilité et le refus de participer au cirque médiatique nauséabond. Avec le développement du foot business, les polémiques développées par les chroniqueurs (souvent des retraités du football en mal de notoriété) dans des talk-show insipides conduisent à un appauvrissement généralisé de la sphère du ballon rond. Footballeurs, Entraîneurs, et tous les acteurs extérieurs se placent pour exister également bien loin des terrains, le meilleur moyen de gagner en notoriété (et également financièrement). Ça n’a jamais été la came du coach, préférant rester paisiblement dans son havre lorientais, loin des caméras et des micros qui lui étaient tendus.
Pourtant, l’entraîneur est exigeant, et n’a pas toujours eu de bons rapports avec les différents présidents qui se sont succédés ces trente dernières années. La gestion du club, parfois au bord de la banqueroute, a pu exaspérer Christian Gourcuff au point notamment de partir en 2001 à Rennes puis au Qatar. Le projet de jeu ne pouvait en effet se développer sans un projet de club solide, et donc des moyens adéquats pour un club professionnel, assurés pour cela par le Président. C’est ce qu’a laissé miroiter le trader Loïc Féry à son arrivée en 2009…
L’ère Féry : une constante descente aux enfers
Cette arrivée peut être considérée dans la chronologie comme la première étape vers la « fin » du club tel que nous le connaissons et l’avons supporté. Jusqu’à présent, les présidents successifs avaient tous plus ou moins le même CV : patrons d’entreprises présents ou issus du pays de Lorient. Si la stabilité financière du club, et son développement, ont pu parfois être montrés du doigt, les présidents successifs ont tout de même cultivé cette idée du « football autrement » prôné par Christian Gourcuff en lui laissant les mains libres.
En 2009, Alain Le Roch souhaite vendre le club. On assiste alors à un événement dans la ville : c’est Loïc Féry, fougueux trentenaire, président d’un fonds de pension à Londres, ancien trader à Hong-Kong qui prend le relais. Très vite, des interrogations sont tombées : si l’on ne lui conteste pas sa passion pour le football, nombreux se sont demandés quelles étaient ses véritables intentions en débarquant à la tête du club de football de la ville aux 5 ports, là où il n’avait sans doute jamais mis les pieds avant. Son compte twitter est à ce titre très gênant : mélangeant des publications en anglais relatives à la bourse de Londres et des messages de soutien au club, le décalage avec l’identité du FCL est complet. Dans sa conférence de presse de présentation, il indiquait ainsi vouloir agir dans le monde du football, de manière bénévole. Nul n’aura omis de remarquer pour autant que depuis, le businessman s’est acquis d’une image médiatique. Un moyen d’entrer dans de nouveaux milieux ?
Dans un premier temps, force est de constater que des doutes s’estompent. Principal fait d’arme : Loïc Féry parvient à obtenir la prolongation de l’entraîneur jusque-là hésitant à continuer. Aux yeux des supporters, il jouit alors d’une crédibilité qui sera renforcée au moment du lancement du projet de centre de formation, et de rénovation des infrastructures du club qui n’étaient alors pas vraiment à la hauteur d’un club pérenne de Ligue 1. Jusque-là, tout allait bien…
Le fric plus fort que tout
Peu à peu, on a commencé à percevoir la véritable face du président, celle qu’on n’osait pas voir. Alors que le club perdait traditionnellement ses meilleurs éléments (Gignac, Jallet, Morel, Ciani, Koscielny, Amalfitano, Gameiro, Mvuemba, Vahirua…) de saison en saison, en compensant ces pertes par un recrutement malin, Loïc Féry a brillé en cédant même les meilleurs espoirs. De « l’affaire Lemina » naîtra le clash entre Féry et Gourcuff qui aboutira au départ du second à la fin de son contrat en juin 2014.
Vivant à Londres, de sérieux doutes sont émis à l’égard de la capacité réelle de gestion du club pour celui qui n’est que rarement présent, même pour les matchs (!), à domicile. Alors que Féry décide de nommer Sylvain Ripoll au poste d’entraîneur, confiant ainsi au staff technique une forme de continuité, intervient la deuxième étape de son plan de mise à mort du FCL : en mai 2015, il place Alex Hayes, un journaliste anglais et agent de joueur, à la vice-présidence du club. Hayes, parachuté à Lorient, est donc en charge de gérer les affaires « à la place du chef et pour le chef », toujours à Londres. Modification du management et de la direction du club donc, Hayes n’est pas lui aussi issu du terreau lorientais mais des travers du milieu du foot. Et cela va se ressentir par la suite.
Ne nous mentons pas, les deux saisons réalisées par l’équipe avec Ripoll à sa tête n’ont pas été flamboyantes. La faute à quoi ? Les « spécialistes » le savent certainement. Toujours est-il qu’on vient d’assister cette semaine à un fait historique : l’entraîneur est limogé en cours de saison ! Alors que la stabilité, même dans la difficulté, était un gage de réussite au FCL, une étape supplémentaire vers la « standardisation » du club dans cet élite footballistique vient d’être franchie. D’ordinaire, une telle situation aurait voulu qu’une solution de remplacement soit trouvée en interne. D’autant que l’entraîneur-adjoint actuel apporte satisfaction, et que son discours réconfortant, non-polémique, et encourageant après une cruelle défaite face au voisin rennais mercredi l’inscrit dans cette tradition d’humilité des entraîneurs lorientais. Et bien non, on entend fuiter dans la presse les noms ronflants d’entraîneurs classiques, habitués des plateaux télés, dont la durée de vie au seins des clubs excède rarement plus de quelques mois…
Alors que le club cherche encore un entraîneur, on apprend que Roland Courbis, en raison de ses engagements contractuels à l’égard de la radio RMC, ne pourra finalement pas être le prochain entraîneur. Pour le coup, on aurait pu être pu continuer à cultiver cette fameuse image du football autrement. Souvent mis en cause dans des affaires financières, proche des milieux mafieux, il a été à plusieurs reprises condamné pour abus de biens sociaux, faux et usages de faux, abus de confiance, recel… Pour ces condamnations, Roland Courbis fera des passages par la case prison. On a sans doute échappé au pire.
Toujours est-il que le futur entraîneur aura la lourde tâche d’éviter la relégation au club des Merlus en fin de saison. Mais ce n’est peut-être plus l’important : le stade est aujourd’hui déserté, les chants des supporters raisonnent creux, l’engouement pour le club chute en flèche parmi les supporters. Il faudra sans doute nous habituer à voir des désormais de petites victoires étriquées de 1-0 au détriment du beau jeu collectif à la Lorientaise.
Une fin définitive ?
D’aucuns diront aujourd’hui que l’esprit du FCL est mort. Le « football autrement » pourrait un slogan à ranger dans les livres que nous évoquerons dans les années à venir en se souvenant comme des vieux cons du bon temps. Mais s’il n’est effectivement pas porté par l’équipe dirigeante, et probablement pas non plus par le futur entraîneur, il reste ancré au sein des supporters. C’est à eux désormais de se faire entendre, la balle est dans leur camp…