Et ça recommence ! Très régulièrement le gouvernement ou le parlement tentent de revenir sur la liberté d’installation des professionnels de santé libéraux. Là, c’est la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale qui a voté le 19 octobre pour une régulation contraignante de l’installation des médecins, a priori contre l’avis du gouvernement.
Cette liberté d’installation en médecine libérale est un droit contractuel. Comme tout droit contractuel, il ne peut être modifié qu’avec l’accord des deux parties. C’est à dire qu’il pourrait être modifié par des négociations sur le mode donnant-donnant. Cela serait logique et acceptable. Mais c’est un droit de base auquel les médecins sont très attachés. On ne choisit pas le libéral pour rien. En général, des mesures incitatives sont donc préférables aux mesures coercitives.
Ici encore, une commission parlementaire tente de passer en force, d’imposer sa vision, sans négociation, là où une convention négociée entre la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et les syndicats représentatifs des médecins est censée gérer ces questions.
Il est donc fait un chantage au conventionnement (c’est ce qui permet au patient d’être remboursé) : il ne serait plus possible à un médecin de s’installer et d’être conventionné dans une zone qui aurait été définie comme « sur-dotée ». Cette mesure est censée lutter contre les déserts médicaux.
Les députés signataires justifient cette limitation de la liberté d’installation par la dégradation de l’accès aux soins, due au déclin de la démographie médicale : 10000 généralistes en activité en moins en dix ans selon les dernières estimations.
C’est là que la situation pourrait être cocasse si elle n’était si dramatique : nos dirigeants communiquent sur leur obligation à réagir face à la diminution drastique du nombre de praticiens, or ce sont eux qui ont la maîtrise du nombre d’étudiants en médecine acceptés à la fin de la première année d’étude par le fameux numerus clausus. Ce numerus clausus est maintenu dramatiquement bas depuis des dizaines d’années. Les médecins tirent la sonnette d’alarme depuis bien longtemps, notamment quand ils ont voulu anticiper le départ à la retraite des baby-boomers (baisse brutale du nombre de médecins, et augmentation brutale des patients de la tranche d’âge où les problèmes de santé sont plus fréquents). La situation de carence programmée est d’ailleurs similaire pour plusieurs professions de santé.
En somme, nos gouvernants se plaignent que la baignoire n’est pas assez remplie mais maintiennent le robinet à un débit minimal… Logique !
Il est à noter que s’il est évoqué des zones sur-dotées, elles ne le sont que comparativement aux zones sous-dotées : les villes attractives commencent également a être touchées par les carences médicales. Il devient difficile de trouver des médecins généralistes qui acceptent des nouveaux patients, et les délais d’attente pour les consultations chez les spécialistes s’allongent inexorablement. Certaines spécialités, telle la gynécologie, sont tout simplement condamnées à disparaître !
D’ailleurs, le numerus clausus étant bas, et la demande en médecins haute, l’État conventionne de plus en plus de médecins venus de l’étranger quand des étudiants, tout à fait capables, sont black-boulés à cause d’un numerus clausus inique. C’est pourtant une source d’emplois non délocalisables.
L’amendement, qui sera voté dans l’hémicycle la semaine prochaine ne devrait finalement pas être approuvé. Il aurait de toute façon peu de chance d’être pérenne : une décision équivalente avait été votée en 2012 pour contraindre l’installation des masseurs-kinésithérapeutes, en conditionnant le conventionnement à une installation hors zone sur-dotée (comme c’est le cas dans l’amendement présent). Le Conseil d’État, sollicité par les syndicats représentatifs, avait finalement invalidé le texte en 2014. Il y a fort à parier que ce texte-là subirait le même sort.
Enfin le désert médical n’est pas un phénomène isolé, et c’est avoir des œillères que de ne pas voir que c’est un problème plus général. Les médecins sont des citoyens comme les autres. Avant de s’installer dans une zone ils observent les opportunités offertes par la localité.
Si les collectivités (locales, régionales et étatiques) voulaient lutter contre les déserts médicaux, cela passerait, déjà et avant tout, par le maintien des services publics (poste et écoles notamment, mais aussi tribunaux…) et des commerces de bases.
Mais l’État ne remplit plus ses missions de base. De plus, la baisse majeure des dotations de l’État aux collectivités locales ou régionales (c’est-à-dire le non retour de nos impôts) paralyse totalement la marge de manœuvre des collectivités territoriales. La conclusion est toujours la même : un transfert de ces compétences avec la fiscalité associée serait une solution logique et bénéfique…