Les langues minorisées méprisées par les radios françaises ?

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Passée relativement inaperçu lors de son premier passage à l’Assemblée Nationale en juillet dernier, un amendement du député Victorin Lurel, député guadeloupéen, sur la proposition de loi « égalité et citoyenneté » concernant les quotas radio  commence à en inquiéter certaines. C’est le cas de Oui FM qui ne se gêne pas pour afficher son mépris pour le breton.

Les langues bretonne, basque, corse, occitane, alsacienne, savoyarde, catalane, on le sait, ne sont pas constitutionnelles. Tout juste apparaissent-elles dans l’article 75-1 de la Constitution qui en fait non pas des langues officielles, mais un « patrimoine de la France ». Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi relative à l’enseignement immersif des langues régionales et à leur promotion dans l’espace public et audiovisuel (rejetée début 2016) du député Paul Molac, le rédacteur avait tout à fait conscience de cet épineux problème puisqu’il expliquait : « Si l’article 75-1 de la Constitution appelle un développement législatif, afin de définir les mesures de promotion et de protection dont les langues régionales doivent bénéficier, il ne saurait se traduire en des droits constitutionnels nouveaux pour les locuteurs de ces langues, selon l’interprétation faite par le Conseil constitutionnel. Toujours selon ce dernier, la langue de la République restant le français, aucun droit à l’usage des langues régionales ne saurait être reconnu à des communautés linguistiques, ou aux locuteurs appartenant à ces communautés. »

L’article 5 de cette proposition de loi posait le principe « qu’il revient au service public de l’audiovisuel de garantir l’expression en langue régionale, en respect du mandat constitutionnel posé par l’article 75-1 de la Constitution. À cette fin, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est modifiée. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est chargé de veiller à ce que les services de communication audiovisuelle attribuent une place significative à l’expression des langues régionales. » Ce qui a donné cet amendement (voté) : « La première phrase du deuxième alinéa de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complétée par les mots : « et à l’attribution d’une place significative à l’expression des langues régionales » »

C’est cette même philosophie que le député Victorin Lurel a réintroduit dans la proposition de loi égalité et citoyenneté en juillet sous forme d’amendement (article 45 nouveau) pour le moment adopté, mais qui a de grandes chances d’être rejeté au Sénat du fait de l’opposition du gouvernement : « Les œuvres musicales interprétées dans une langue régionale en usage en France constituent au minimum 4 % de cette proportion d’œuvres musicales d’expression française. » Cet amendement fait frémir certaines radios.

Dans Le Figaro, Jean Talabot explique que « les radios se plaignent du trop petit nombre de titres interprétés en langues régionales, et ont peur de trahir leur ligne éditoriale ». Et d’ajouter : « Sous couvert d’une recherche d’exhaustivité et de diversité, voilà une mesure plus politique qu’indispensable, risquant fort d’être critiquée par les patrons des grands médias puis d’être rétorquée le mois prochain par le Sénat. À moins de faire chanter les représentants de la haute assemblée… » Ce journaliste a sans doute oublié les débuts médiatiques du député de Ploërmel qui, justement, chante (en français, en breton et en gallo). Mais passons…

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La radio privée OÜI FM détenue par la holding AWPG de l’animateur Arthur, a réagi aujourd’hui… avec un mépris digne de la IIIème République ! « Soulagement également pour ceux qui ne souhaitent pas entendre des chants traditionnels sur OÜI FM, car, selon Les Echos, les stations de radio qui ne font pas partie du service public ne risquent pas d’être concernées », écrit l’auteur de la note sur le site. Ou encore : « OÜI FM soutient depuis toujours la scène rock française, et il est vrai que certains groupes de rock s’amusent à saupoudrer leurs paroles de langues régionales, comme Matmatah et le morceau au titre bien breton Lambé An Dro » tout en expliquant qu’en plus d’être une corvée, il n’y aurait pas assez de titres pour réussir cette prouesse de faire vivre une langue.

Doit-on rappeler aux « radios rock » qu’en guise d’artistes français, elles passent 15 fois par jour les Jean-Jacques Goldman, Francis Cabrel ou Indochine (le reste étant en anglais)… laissant peu de places à la scène rock française émergente ? Leur « soutien » est donc aussi important en termes musical que linguistique : à peu près nul. La réalité, c’est que cette loi est difficilement applicable du fait de la fainéantise et/ou de l’incompétence d’une partie des animateurs de radios privées incapables de découvrir de nouveaux titres. On se consolera en écoutant les radios bretonnes qui, elles, ne pratiquent aucune discrimination linguistique.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]