Gael Briand : « La tentation de mythifier l’Histoire n’est pas nouvelle en France »

Jeanne darc
Jeanne d’Arc

Dimanche 28 août, dans la Sarthe, l’ancien Premier Ministre, François Fillon, a fait allusion à l’Histoire de France… et s’est pris les pieds dans le tapis ! « Pourquoi les enfants chinois apprennent-ils par cœur la liste des dynasties qui ont régné sur leur pays durant trois mille ans et expriment-ils leur fierté d’appartenir à une grande civilisation, quand les jeunes Français ignorent des pans de leur Histoire ou, pire encore, apprennent à en avoir honte ? » a-t-il déclaré avant de préconiser de concevoir les futurs programmes d’Histoire « comme un récit national ». Grâce aux réactions de quelques intellectuels, la presse en a fait ses choux gras. Gael Briand, le rédacteur en chef du Peuple breton, nous rappelle pourtant que cette conception est largement partagée chez les nationalistes de tout crin, au plus haut sommet de l’État.

Le PB : En quoi les propos de François Fillon sont-ils choquants ?

Gael Briand : ce qui me choque d’abord dans cette déclaration de François Fillon, c’est qu’elle prouve clairement que, dans l’esprit de bon nombre d’hommes et de femmes politiques, l’Éducation Nationale n’a pas pour but l’émancipation des élèves, mais bien leur endoctrinement. Il ne s’agit pas d’enseigner une matière, avec toute la démarche scientifique qu’elle suppose, mais bien de raconter une histoire qu’il faudra ensuite répéter.

Dans l’absolu, l’Histoire cherche à reconstituer les faits passés afin de mieux comprendre le présent. La démarche de l’historien doit donc être le doute permanent, le questionnement, et non pas, comme le suggère l’ancien Premier Ministre, la certitude, la « foi ». Les élèves sont conçus comme des soldats de la République et non comme de futurs citoyens libres.

Bien sûr, il n’est pas choquant que chaque peuple traite avant tout de son histoire, mais il faut se garder de sombrer dans un nationalisme étriqué qui réécrit les faits à son profit. L’Histoire est toujours celle des vainqueurs, c’est-à-dire de ceux qui tiennent la plume ne l’oublions pas ! Ainsi, outre les recherches archéologiques, on ne connaît des Gaulois que ce que Jules César a bien voulu écrire. Il faut donc prendre du recul. François Fillon n’en prend aucun.

Le PB : Dans Libération, l’historien Nicolas Offenstadt estime qu’« un récit national est une négation de l’Histoire comme discipline scolaire »…

Et il a parfaitement raison. Mais force est de constater que ce récit national existe d’ores et déjà dans les programmes scolaires français. L’Histoire de France (et non pas des français) s’apprend chronologiquement avec pour fil rouge les diverses dynasties (Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens, Valois, Bourbons) puis les républiques, entrecoupées de brefs retours à la monarchie ou à l’empire. Il est d’ailleurs amusant que nos médiatiques hommes politiques se targuent d’être républicains, mais que les plus grands personnages de l’Histoire de France enseignée soit Louis XIV ou Napoléon ! Ce n’est pas un hasard bien sûr si la Vème République est qualifiée de monarchique tant le président à de pouvoir. S’il y a bien une chose qui n’a pas changé, c’est l’autoritarisme : tout est décidé depuis le « haut », depuis le pouvoir, depuis Paris.

On est bien loin d’une Histoire populaire comme l’a popularisée Howard Zinn dans Une histoire populaire des Etats-Unis. Dans cette conception, ce ne sont plus les « grands hommes » qui font l’Histoire, ce sont les peuples et leurs aspirations. On passe alors d’une Histoire autoritaire à une Histoire populaire. Cela ne fait pas de Lorànt Deutsch ou de Stéphane Bern des historiens pour autant ! L’Histoire, comme les autres matières, a ses vulgarisateurs, mais si on la considère avec un grand « H », il faut privilégier les faits et donc la démarche scientifique. Ensuite vient l’interprétation des faits…

Le PB : en quoi un récit national est dangereux ?

Le récit national est dangereux car il se construit sur les mythes fondateurs d’une nation. Cette tentation n’est pas nouvelle. L’historienne Suzanne Citron, auteur de l’ouvrage Le mythe national, l’Histoire de France revisitée, a démontré il y a trente ans que les pères de la nation française ont créé de toutes pièces une légende ayant pour objectif de stimuler l’amour des français pour la patrie. Finalement, notre Vème République et ses représentants ne diffèrent pas tant que cela de leurs homologues de la IIIème qui ont fait de la République une véritable divinité. Aujourd’hui, la « République » est confondue allègrement avec la « démocratie » et porter atteinte à ses emblèmes est passible de sanctions judiciaires. Le patriotisme dans lequel nous baignons dans le milieu scolaire explique aussi parfois les déclarations excessives de certains hommes politiques. Quand Manuel Valls – pour ne citer que lui – déclare que les français sont un grand peuple, ne hiérarchise-t-il pas les différents peuples ? S’il y en a de grands, c’est qu’il en existe des petits, non ?

Ce récit national et les mythes qui l’entourent génèrent aussi des réactions, autrement dit des contre-mythes comme les appelle Albert Memmi, auteur du Portrait du colonisé. Je précise à ce stade qu’il serait tout aussi dangereux de prôner un récit national breton basé lui aussi sur des mythes car cela exclurait de fait les populations non-bretonnes qui vivent sur le territoire. Pouvoir accéder à l’Histoire de Bretagne (et des bretons) est nécessaire, utiliser cette Histoire à des fins politiques ne relève plus de la démarche scientifique et, à mon sens, n’a pas sa place à l’école.

Le PB : mais alors, pourquoi ce récit national aujourd’hui ?

Il s’agit de rassurer. La droite cherche depuis des décennies à reconstruire le mythe d’un peuple fier et puissant, qui domine le monde en quelque sorte. Sauf que personne n’est dupe. Glorifier la France ne la rendra pas plus forte. Par contre, cela peut générer un profond malaise social et un sentiment de perte qu’exploitent Marine Le Pen et consorts. Ceux-la cherchent à redonner sa fierté à la France et cela fonctionne à 100 % dès lors que les français se sentent « menacés ». La colonisation était-elle un motif de fierté ? Personnellement, j’en doute.

Le PB : et concernant l’Histoire des peuples sans État ?

L’enjeu, de mon point de vue, c’est surtout de cesser de faire reposer les programmes sur des autorités qui détiendraient la vérité. L’Histoire des peuples est imbriquée et il convient de la relater le plus fidèlement possible, en assumant les points noirs sans pour autant s’excuser pour les générations passées, mais plutôt en cherchant à rétablir les peuples oubliés dans la Grande Histoire. Dans le cas des peuples minorisés en France, ce n’est pas d’une réparation historique dont nous avons besoin, mais bien d’une reconnaissance de notre statut de minorité. Le passé est passé, mais le présent dépend de la volonté politique.

> Ar Skridaozerezh / La Rédaction

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