Le Monde Diplomatique a publié en juillet 2015 une réflexion de Marylène Patou-Mathis, directrice de recherche au CNRS, visant à « déconstruire le mythe d’une préhistoire sauvage et belliqueuse » dont le titre Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre a attiré mon attention. Grand bien m’en a pris puisque sa lecture m’a confirmé une fois de plus dans l’idée que l’homme est d’abord le produit de son environnement. Et qu’en bâtissant les structures d’une société violente, on ne pouvait s’étonner de la voir émerger…
Le grand débat entre inné et acquis ne sera probablement jamais définitivement réglé tant l’un n’exclue pas l’autre. Pourtant, en affirmant que « la guerre ne semble apparaître qu’avec la naissance de l’économie de production et le bouleversement des structures sociales du néolithique, il y a environ dix mille ans », Marylène Patou-Mathis bouscule un peu l’image d’Épinal de l’homme préhistorique violent et de l’homme moderne assagit.
Les archéologues sont nombreux à être exaspérés par le stéréotype de l’homme préhistorique représenté comme un singe gauche et bas de front dont l’une des activités principales serait la guerre. Ce type de représentations « instille dans la tête (…) l’idée d’une continuité culturelle de la guerre depuis la période la plus reculée de l’humanité. »
Or, les recherches ne parviennent pas à réellement prouver la généralisation des conflits, au contraire. Selon Marylène Patou-Mathis « de nombreux travaux, tant en sociologie ou en neurosciences qu’en préhistoire, mettent en évidence le fait que l’être humain serait naturellement empathique. C’est l’empathie, voire l’altruisme, qui aurait été le catalyseur de l’humanisation. »
L’auteure de l’article estime que « d’après les vestiges archéologiques, on peut raisonnablement penser qu’il n’y a pas eu durant le paléolithique de guerre au sens strict (…) ». « L’économie de prédation, à la différence de l’économie de production, qui apparaît avec la domestication des plantes et des animaux, ne génère pas de surplus. L’histoire a montré que les denrées stockées et les biens pouvaient susciter des convoitises et provoquer des luttes internes ; butin potentiel, ils risquent d’entraîner des rivalités entre communautés et de mener à des conflits. » explique-t-elle.
Le tournant, selon Marylène Patou-Mathis, s’est donc fait avec la sédentarisation. Plus précisément, la compétition s’enclenche nécessairement consécutivement à l’accumulation non partagée des richesses. Elle précise en plus que « les conflits sont souvent déclenchés par les détenteurs de pouvoirs ou de biens — ce que l’on appelle « l’élite », qui souvent s’appuie sur la caste des guerriers ». Or, les sociétés préhistoriques fonctionnaient plus sur des modèles peu hiérarchisés et ce n’est qu’au néolithique que seraient apparues les figures de chef. La privatisation de la terre a également généré des conflits.
Cet article interroge évidemment sur notre modèle de développement contemporain. Nos sociétés basées sur l’accumulation et sur la propriété génèrent intrinsèquement une violence, y compris institutionnelle (le renforcement des arsenaux militaires pourrait même être lié à une lecture néo-libérale du monde). Et si le capitalisme est un système adopté par la majeure partie de la planète, on peut dire qu’il l’est par défaut par les peuples qui souffrent du maître-mot de cette idéologie : la « concurrence ». Faisant écho aux propos de Patrick Tort dans L’Effet Darwin qui réinterprètent la théorie de Darwin sur l’évolution (qui n’est pas nécessairement la loi du plus fort, mais du plus apte), l’article du Monde Diplomatique conclut en disant : « la « sauvagerie » des préhistoriques ne serait qu’un mythe forgé au cours de la seconde moitié du XIXe siècle pour renforcer le concept de « civilisation » et le discours sur les progrès accomplis depuis les origines. À la vision misérabiliste des « aubes cruelles » succède aujourd’hui — en particulier avec le développement du relativisme culturel — celle, tout aussi mythique, d’un « âge d’or ». La réalité de la vie de nos ancêtres se situe probablement quelque part entre les deux. Comme le montrent les données archéologiques, la compassion et l’entraide, ainsi que la coopération et la solidarité, plus que la compétition et l’agressivité, ont probablement été des facteurs-clés dans la réussite évolutive de notre espèce ».
De quoi méditer…