Cornouailles : Le Brexit, une catastrophe économique et sociale à l’horizon

Falmouth-Cornwall

Depuis Falmouth, Aberfala, Kernow

Une majorité de 182 665 corniques (56,5%) contre 140 540 ont voté pour la sortie de l’UE le 23 juin. Contrairement aux autres nations celtes, le Pays de Galles et la Cornouailles ont voté contre l’UE. Les innombrables panneaux signalant les projets ayant bénéficié de financements européens n’auront pas suffi à convaincre corniques et gallois des bénéfices de leur participation à l’Union.

La Cornouailles apparaît comme un exemple symptomatique du rapport ambivalent du Royaume-Uni à l’Union : Le duché est une région classée parmi les plus pauvres de l’UE (PIB inférieur à 75% de la moyenne de l’UE) bénéficiant des fonds dit « de convergence ». Sur les sept années de la période de 2014-2020, elle devait recevoir plus de 600 millions d’euros d’aides européennes, sans compter les 1,17 milliards d’euros versés depuis 2000. Une aide devenue vitale pour assurer les dépenses pour le développement économique et l’action sociale de la région qui a souffert de cuts (coupes budgétaires) massives depuis l’accession du gouvernement conservateur au pouvoir à Londres.

Comme le rappelle Andrew Long, conseiller régional Mebyon Kernow (gauche autonomiste cornique) la Cornouailles a bénéficié de millions d’euros pour le maillage du territoire en fibre optique, l’amélioration de lignes de chemin de fer, l’achat de nouveaux hélicoptères de la sécurité civile, la réhabilitation d’anciens sites miniers en centres culturels ou en jardins d’acclimatation, etc. Les deux universités présentes sur le campus historique de Saint Gluvias avaient aussi développé des infrastructures ultramodernes de développement de technologies bas carbone et de sociétés de production d’énergie renouvelable. L’élu cornique souligne également que « l’Union a reconnu la Cornouailles comme région et nation distinctes bien avant le gouvernement britannique. Notre langue et notre culture sont protégées par l’UE. »

L’étau conservateur

Le contraste est saisissant avec les 200 millions de livres de coupes budgétaires demandées à la collectivité par Westminster entre 2015 et 2019 au titre de la politique d’austérité des conservateurs. Cette politique, soutenue par la majorité indépendante au Cornwall Council (Conseil régional de Cornouailles) a eu des effets désastreux sur l’économie : privatisation totale du comité régional du tourisme au profit des grands hôtels, fermetures à répétition de commissariats, fermeture de nombreux services municipaux, de lignes de transport rurales, abandons de projets, etc.

Des aides européennes devenues également vitales pour les nombreuses « charities » et autres associations travaillant dans le soutien aux entreprises et dans l’action sociale. Hors les fonds de convergence, le Fond Social Européen (FSE) et multiples programmes de financement de l’action culturelle, la coopération transnationale, la R&D, ont permis au secteur associatif d’assurer une large partie de l’action abandonnée progressivement par l’État depuis le mouvement de privatisation initié dans les années 80.

Les mensonges du camp Brexit

Dès le lendemain du référendum, le Président du Cornwall Council John Pollard a demandé au gouvernement de garantir au plus vite qu’il prendrait le relais des financements européens, dans des proportions similaires (soit 60 millions de livres par an) pour éviter l’asphyxie d’une économie déjà malmenée. Une demande déjà moquée par les principaux titres de presse londoniens.

On peut toutefois s’interroger sur la volonté du gouvernement de maintenir le même niveau d’investissement que celui fourni par l’UE, qui plus est dans les secteurs bénéficiant actuellement des aides européennes. Avant même l’annonce officielle des résultats, Nigel Farage, le leader du parti xénophobe UKIP et fervent défenseur du Brexit, annonçait que sa promesse de campagne d’investir 350 millions de livres par semaine (correspondant à la contribution hebdomadaire du Royaume-Uni au budget européen) dans le système de santé britannique était une « erreur ».

L’argument central de la campagne du Leave devrait rapidement se retourner contre ses promoteurs car une large partie de cette somme revenait déjà au Royaume-Uni via le financement de la Politique Agricole Commune ou le financement des universités. Désormais en position de remplacer le gouvernement de David Cameron, la coalition UKIP-Conservateurs devra maintenant expliquer comment ils comptent rassembler la somme, ainsi que rassurer les secteurs dépendant des aides européennes. Les agriculteurs anglais et corniques, qui dépendent pour 30% de leur chiffre d’affaire des aides de la PAC, ne seront pas les derniers à s’en préoccuper. L’économie cornique en général devrait encaisser un rude coup après le Brexit, dont les secteurs Agri-Agro et le tourisme représentent respectivement 16 et 20 % de l’emploi.

L’ambiance est aujourd’hui morose surtout parmi les jeunes générations qui se sentent « punies » par leurs aînés, alors que ces jeunes, plus mobiles, seront les premiers à subir les conséquences du Brexit. On peut faire une lecture générationnelle et sociale du résultat qui a vu les plus jeunes, mais aussi les plus éduqués en général voter pour le Remain tandis qu’une majorité de retraités votaient pour la sortie. Le conseiller Andrew Long ne dit pas le contraire, expliquant le vote cornique par « le récent afflux de retraités britanniques dans un comté touristique. D’autre part l’UE, comme de nombreuses grandes organisations est très mauvaise pour mettre en avant ses bénéfices et ses réussites. Elle est plus dans une posture réactive que proactive. » Si elle veut continuer à convaincre, la grosse mécanique européenne devra s’appliquer à renouer le lien avec le citoyen.

> Mael Garrec

Mael est originaire de Lorient, travaille à Brest et a vécu en Cornouailles. Il est aussi spécialiste des questions maritimes.