Au tout début de mars 2015, Manuel Valls avait utilisé, pour qualifier le terrorisme des intégristes salafistes, le terme d’« islamo-fascisme ». Jamais un homme politique européen, démocrate, n’a parlé – n’aurait même eu l’idée de parler – durant les années 1940, de « christiano-fascisme ». Cependant aucun d’entre eux n’ignorait que l’épiscopat autrichien avait approuvé l’Anschluss, que Pie XII s’était réjoui publiquement de la victoire de Franco sur le République espagnole, dont le gouvernement avait été démocratiquement élu, que cette victoire n’avait été obtenue que grâce l’aide de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie, qu’il n’avait pas condamné l’invasion de la Pologne par cette même Allemagne, et n’avait condamné que très tardivement – qui plus est avec une grande discrétion – les lois anti-juives dans les pays collaborationnistes : France, Croatie, Slovaquie, Belgique, etc… Mg Tissot, prêtre catholique, nommé gauleiter de Slovaquie après l’annexion du pays par Hitler en 1938, avait organisé lui-même au cours de 1942 la déportation de 52000 Juifs slovaques. Si Pie XII l’avait rappelé à l’ordre pour ces faits, sa condamnation de la Shoah restera jusqu’au bout extrêmement discrète, quasi confidentielle… Mais ces hommes politiques savaient aussi que de très nombreux catholiques avaient combattu les nazis et le fascisme jusqu’au sacrifice de leur vie, ou avaient été persécutés en raison même de ce combat.
C’est de la même manière, et le Premier ministre ne peut l’ignorer, que d’innombrables musulmans ont combattu, combattent en ce moment même, l’islamisme intégriste par le monde. En Algérie, 8 écrivains, 57 journalistes, près de 200 enseignantes et enseignants ont perdu leur vie – avec des dizaines de milliers de leurs compatriotes – dans ce combat au cours des années 1990. La plupart d’entre eux étaient des musulmans pratiquants. Associer publiquement le terme de « fascisme » à leur foi religieuse est une infamie tout autant qu’une insulte à leur mémoire.
C’est aussi une faute. Dans ce pays, les discriminations raciales à l’encontre de nos compatriotes musulmans ne manquent pas. Les propos de Manuel Valls en rajoutent une couche, contribuant ainsi à diviser un peu plus un pays qu’il faudrait au contraire ré-unir.
Car, à vrai dire, le fascisme qui nous menace n’a rien d’islamique. C’est le fascisme bien français et très ordinaire, qui attend que l’Hexagone lui tombe entre les mains, en toute légalité, comme un fruit mûr, ainsi que cela fut déjà le cas, en Allemagne, en 1934.
Nous avions été cinq rennais à demander au premier ministre de s’excuser publiquement pour ces paroles. Nous avions donné à cette requête la forme d’une lettre ouverte envoyée aux deux quotidiens de la presse régionale et à deux quotidiens de la presse nationale. Silence radio. Conscients de ce que l’actualité rend notre démarche toujours aussi actuelle, les Bretons que nous sommes trouvent légitime de se tourner vers Le Peuple breton.
Signataires :
Nadia Alcaraz, professeur de danse et d’art dramatique
Toufik Hedna, président de l’association rennaise des Amis de l’Algérie
Mohammed Loueslati, aumônier musulman des prisons de Rennes
Roger Pérez, prêtre de Rennes
Gérard Prémel, écrivain et sociologue