Dissolution des accents régionaux : au Royaume Uni comme en France ?

English accent

L’université de Cambridge a récemment publié les résultats d’une enquête comparative sur la variation dialectale en anglais britannique, des années 1950 à nos jours. Les résultats sont spectaculaires et montrent une uniformisation galopante tant aux niveaux lexical que phonétique, avec Londres et sa région pour modèle. Bien que les variétés régionales de la moitié nord de la Grande Bretagne se distinguent toujours par de nombreux traits distinctifs, aux fonctions identitaires marquées, l’érosion n’en est pas moins manifeste et choquante pour de nombreux Britanniques. Comparés aux Français, ceux-ci ont souvent une perception aiguë des variétés régionales de l’anglais (tant insulaire qu’ultramarin), en partie grâce à une politique de décentralisation des media audiovisuels, et une affirmation volontariste des différents accents dès les années 1980 aux dépens du Queen’s English (BBC surtout).

Le même phénomène de nivellement s’observe, de façon beaucoup plus marquée, dans l’espace francophone européen (France, Wallonie et Suisse romande) où Paris exerce un monopole quasi-absolu sur les media et les industries de la culture et du divertissement, accompagné d’une promotion exclusive du « français de référence » prohibant toute variation régionale ou presque1. Cet état de fait a trois conséquences majeures du point de vue sociolinguistique :

Premièrement, contrairement aux Britanniques, les Français accusent une méconnaissance des accents régionaux et sont le plus souvent incapables de localiser leur provenance2. Deuxièmement, le français de Paris, dans ses registres soutenu ou familier, a conquis l’espace beaucoup plus rapidement que l’anglais londonien, et s’est depuis longtemps imposé en tant que variété supralocale ou atopique – i.e. n’appartenant à aucune région spécifique. La conséquence en est la disparition progressive des accents régionaux et la « généralisation de la langue zéro »3, en premier lieu dans la bourgeoisie et chez les femmes4, par exemple dans le nord du Pays d’oc où on voit les accents du midi refluer peu à peu vers le sud5. Troisièmement, ce monopole exclusif du français de référence a un impact sociologique profond en terme de glottophobie (voir ici) et d’insécurité linguistique, affectant aussi bien les locuteurs de variétés régionales que sociales (accent « banlieusard » surtout), sous forme de discrimination à l’embauche (voir ici) et de stigmatisation « rappelant le mépris séculaire envers les parlers régionaux perçus comme une menace à l’intégrité de la nation »6.

Notons que ce phénomène de nivellement n’est pas sans rencontrer de résistance, et qu’en dépit d’évolutions spectaculaires (disparition généralisée du [R] roulé jusqu’au Canada), certains accents régionaux perdurent, préservés particulièrement par les hommes de milieux défavorisés en tant que marqueurs d’identité et de solidarité de classe. Bien qu’extrêmement stigmatisé, l’accent banlieusard a ainsi développé un prestige latent suffisamment puissant pour le propager hors de son terroir d’origine, et en faire adopter les traits par une grande partie de la classe ouvrière.

————————

1 Nigel Armstrong & Tim Pooley, Social and Linguistic Change in European French, Palgrave Macmillan, 2010, p. 17-18, 82.
2 David Hornsby, « Dedialectalization in France: Convergence and Divergence », International Journal of the Sociology of Language, 196/97, p. 157-180, 2009, p.166.
3 Bodo Müller, Le français d’aujourd’hui, Klincksieck, 1985.
4 Claudine Moïse, « Pratiques langagières des banlieues : où sont les femmes ? », VEI Enjeux, n° 128, mars 2002.
5 Tom Pooley, « Dialect levelling in southern France », Nottingham French Studies, 46(2), 2007, p. 40–63.
6 Zsuzsanna Fagyal, Accents de banlieue, L’Harmattan, 2010, p. 27.

> Geoffrey Roger

Geoffrey Roger est maître de conférence en linguistique à la University of London Institute à Paris.