
On assiste en ce moment à un curieux spectacle. Au risque de perturber gravement l’Euro de football, François Hollande fait preuve d’une fermeté inhabituelle vis-à-vis des organisations syndicales et de jeunes sur la question de la loi « Travail » et, plus précisément, sur le cœur de celle-ci, le fameux article 2. Lui président, qu’on a vu céder rapidement aux injonctions de différents volatiles, « pigeons » et autres, montre cette fois une rare intransigeance, aidé en cela par un Manuel Valls se vivant en moderne Clemenceau. Le phénomène est intrigant mais explicable.
Il faut pour cela revenir à une notion fondamentale qui est la tendance, sur le long terme, à la baisse du taux de profit du capital. Pour le dire autrement, le capital investi dans la production rapporte de moins en moins. « Que faire ? » se demande alors le capitaliste en plein désarroi. Aidons-le, le pauvre homme – la pauvre femme.
Il peut déplacer ses investissement vers un secteur plus rentable. La banque, placement « de père de famille » ou, plus risqué, la Bourse ? Le risque est cependant minime, sauf krach brutal et totalement imprévisible. Dans ce cas, mieux vaut être un gros « investisseur » qu’un petit actionnaire. C’est une « loi » de la Bourse : quand les petits porteurs vendent, il est déjà trop tard – les gros se sont dégagés à temps.
Pourquoi pas la finance, alors, avec ses profits records mais aussi ses risques importants ?
La mode « fabless »
Il peut aussi gérer autrement ses entreprises et se diriger vers l’entreprise « fabless » chère à Serge Tchuruk (juin 2001 : « Alcatel doit devenir une entreprise sans usines. »). On a vu le résultat : après deux ans de fermeture de sites (de 120 à 30) et de plans sociaux (de 150 000 à 58 000 salariés), le mariage avec Lucent, l’entreprise Alcatel-Lucent vient d’être rachetée par le Finlandais Nokia.
Bah ! Autant rester dans la production. Les solutions ne manquent quand même pas. On peut délocaliser ses usines vers des pays à faible coût de main-d’œuvre et environnemental de l’Est européen et du Sud-Est asiatique. Mais ce n’est pas sans inconvénients : qualité incertaine du produit fini, durée longue et coût grandissant du transport – avant la baisse passagère du prix du pétrole –, manque de réactivité, etc.
Comment réduire la masse salariale
Non, la meilleure solution serait encore de produire en France à moindre coût. Les investissements dans l’appareil de production sont inévitables et de plus en plus lourds, on ne peut guère agir sur les matières premières et l’énergie, certes, mais il reste un gisement d’économies, la variable d’ajustement idéale : la masse salariale ! Mais comment la faire baisser ? On est coincé par ce sacré Code du travail et ces foutues conventions collectives, ces accords de branche qui mettent des barrières protégeant les salariés. Bon sang ! mais c’est bien sûr : il suffirait d’obtenir de l’État la neutralisation de tout ce fatras autant inutile qu’archaïque et la possibilité de négocier au niveau de l’entreprise ! Là, face à des salariés illettrés (cf. Macron), à des délégués issus de leurs rangs, on se fait fort d’obtenir des accords très favorables à la hausse du taux de profit. On rebaptisera ça accords de compétitivité, de maintien de l’emploi (ne pas oublier le chantage à l’emploi, très bon, ça) ou, si nécessaire, de survie de l’entreprise (et allez donc !)…
Ayez confianssssssse !
La voilà, la solution. Mais pourrons-nous convaincre le gouvernement ? Mais oui très facilement : Hollande l’a dit, son seul adversaire est la finance, Valls a proclamé son amour de l’entreprise, on nous a déjà attribué 41 milliards avec le CICE correspondant à 6 % de la masse salariale, après le crédit d’impôt recherche non contrôlé et la réduction Fillon… C’est Byzance !
Donc un seul mot d’ordre : inversion de la hiérarchie des normes et tenons mordicus sur l’article 2 ! Priorité à la « négociation » dans l’entreprise ! Gattaz l’avait bien compris qui, dans un premier temps, estimait que l’essentiel avait été obtenu, avant de se faire taper sur les doigts par ses propres troupes. La négociation directe dans le bureau du patron, voilà la solution ! Yeux dans les yeux avec les salariés, en confiance – après tout, n’avons-nous pas le même intérêt à la réussite de l’entreprise ? Cela justifie bien quelques sacrifices de leur part. Allons ! tout n’est pas perdu. Il suffit de tenir bon. Tiens ! Comme on se retrouve…