Loi « Travail » : entre mobilisation et exaspération

flics

La mobilisation contre la loi Travail sʼéternisant, il est tout à fait logique que lʼexaspération apparaisse. Et alors que 74 % des sondés se disaient contre cette loi au début du mois de mai selon un sondage, ils sont à peine plus de 50 % à approuver le mouvement de grève aujourdʼhui. Il est certain quʼune grève gêne, cʼest même son principal rôle dès lors que le dialogue est absent. Et il lʼest puisque le gouvernement a utilisé lʼarticle 49 alinéa 3 de la Constitution pour éviter tout débat de fond… Mais il serait idiot de croire que cʼest ce « 49.3 » qui mobilise. Il est plutôt de lʼhuile que le gouvernement a mis sur le feu.

Quoiquʼil en soit, les français sont en majorité opposés à cette loi dite « Travail » qui, pourtant, nʼen promet pas. Comprenant que Nicolas Sarkozy avait tapé au bon endroit avec la défiscalisation des heures supplémentaires (et donc le fameux « travailler plus pour gagner plus »), les « socialistes » misent sur lʼembauche en cherchant à dissuader les travailleurs dʼen faire. Si le principe est louable, il est tout à fait anti-populaire et surtout organisé au pas de charge si bien quʼil crispe les travailleurs pour qui les « charges », notamment immobilières, se sont adaptées à ces heures supplémentaires. Revenir dessus, de leur point de vue, cʼest la garantie de les précariser.

Auparavant, la loi prévoyait que les heures supplémentaires au-delà de 35h soient majorées de 25 % pour les 8 premières et de 50 % pour les suivantes. Le nouvelle loi propose de majorer les heures supplémentaires à hauteur de 10 % seulement. Les travailleurs nʼont donc plus dʼintérêt à « travailler plus » et le gouvernement espère que les entreprises vont, consécutivement, embaucher.

On peut dʼores et déjà parier que les entreprises ne le feront pas. Pire, un petit patron qui nʼaurait pas les moyens dʼembaucher et qui souhaiteraient, malgré tout, inciter ses employés en les payant mieux se verra dès lors non-compétitif. Pourtant, cʼest bien là que le bat blesse : si les travailleurs ont recours aux heures supplémentaires, cʼest dʼabord parce que leur salaire ne leur suffit pas. Ils ne souhaitent donc pas « travailler plus », mais bien « gagner mieux ».

Par ailleurs, un reproche global qui est fait à cette loi est le souhait dʼinverser la hiérarchie des normes et donc faire primer le contrat sur la loi. Encore une fois, lʼidée est louable (et évite lʼautoritarisme de lʼÉtat), mais fait fi du rapport de force entre les salariés et les patrons. On va donc assister plus que probablement à une spirale vicieuse qui verra les conditions de travail se dégrader afin de devenir « compétitifs ». La compétition mondiale ne suffisait pas, il fallait lʼinciter encore davantage quʼelle ne lʼétait au sein même de la société française. La loi Travail, concrètement, cʼest la garantie de voir baisser les conditions de travail dʼannées en années jusquʼà harmoniser les conditions de travail vers le bas à savoir le plus petit dénominateur commun de lʼUnion européenne dans un premier temps, puis – qui sait – du monde puisquʼon trouvera toujours un chinois pour faire ce quʼun breton ne veut pas/plus faire !

À celles et ceux qui sont exaspérés par un train manqué ou un retard à un rendez-vous, dites-vous que cette mobilisation a pour but dʼéviter une aliénation totale au travail. Et si le gouvernement joue le pourrissement pour retourner lʼopinion publique et faire avaliser, par fatigue, sa loi, chantons ensemble comme dans les manifestations syndicales : « on travaille pour vivre, on ne vit pas pour travailler ! ».

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]