Ana Sohier, conseillère municipale en charge du patrimoine et de la politique linguistique à Rennes, a fait adopter fin 2015 un plan de soutien à la langue bretonne, dont les deux piliers sont le développement de lʼenseignement et le bilinguisme breton/français dans lʼespace public. Le Peuple breton nʼa pas jugé utile de relayer les réactions positives à ce plan. Nous publions en revanche une critique de ce plan de soutien, adressée par courrier à Ana Sohier, et la réponse de lʼélue. Une occasion de revenir sur la philosophie du soutien à la langue bretonne. [ndlr : Les passages concernant lʼidentité et la situation personnelle de lʼauteur ont été coupés]
Courrier adressé à Ana Sohier
« Permettez-moi de répondre à votre article « Le bilinguisme progresse à Rennes », apparu dans le magazine Les Rennais #28 et de vous présenter ma préoccupation quant à la volonté dʼaucuns dʼétablir avec force une implantation du breton dans Rennes et en Ille-et-Vilaine.
Depuis très longtemps, jʼéprouve un fort attrait pour les langues vivantes. Toutefois, je crois fermement que lʼinsertion de politiques éducatives linguistiques au sein des écoles publiques doit montrer un certain pragmatisme face à la réalité mondiale, tant sur le plan culturel que professionnel (lʼécole nʼa-t-elle pas pour but de former des citoyens du monde et aussi de les aider à leur insertion professionnelle ?). Il me semble donc que le plan politique linguistique en faveur de la langue bretonne ne correspond pas du tout à ce pragmatisme et représente un certain danger pour les futures générations bretonnes.
Diverses études internationales ont démontré comment aux cours des dernières années le niveau dʼanglais des français avait régressé (sachant que le niveau n´était déjà pas très élevé…). Jʼai notamment découvert avec surprise et stupeur il y a quelques mois que le niveau dʼanglais des espagnols dépassait celui des français.
Au risque de répéter des banalités, lʼanglais ne sert pas non seulement à voyager, mais aussi à décrocher un emploi (chose assez intéressante dans le contexte de chômage actuel). Je doute que le breton permette de répondre à ces deux objectifs.
(…) Jʼai aussi vu comment la langue territoriale était utilisée comme arme politique, pour défendre des souhaits séparatistes. Si vous lisez les journaux espagnols, vous verrez comment une grande partie du débat politique est polluée par des mouvements de défense du Catalan et de lʼhistoire de la région. Et dans de nombreux cas, jʼai constaté comment le Catalan servait pour marquer leur repli identitaire. Situation très éloignée de la « richesse » et du « refus du replis nationaliste » que vous décrivez dans votre article.
Je ne dis pas que lʼapprentissage du breton est loin dʼêtre une noble activité, et je le conçois tout à fait comme activité extra scolaire pour les personnes intéressées. Mais au regard du monde professionnel de plus en plus international, et au regard des défis actuels comme la crise migratoire du Moyen-Orient, je crois sincèrement que notre approche éducative se doit dʼêtre ouverte au monde. »
Réponse dʼAna Sohier
« Vous nous avez adressé votre réaction sur le bilinguisme breton-français à Rennes. Vous vous y dites favorables à ce que la politique linguistique rennaise se concentre sur lʼapprentissage de langues vivantes étrangères et mette fin au soutien à lʼenseignement en langue bretonne à lʼécole.
Les orientations de la politique linguistique rennaise nʼont pas pour unique but de favoriser lʼinsertion des jeunes sur le marché international. Ce nʼest pas non plus le seul rôle de lʼécole. Permettez-moi tout de même de vous détromper sur un point : la maîtrise de la langue bretonne permet bien dʼaccéder à des emplois, dans lʼenseignement notamment, mais aussi dans la communication ou le secteur associatif.
De fait, les jeunes qui le souhaitent trouveront de nombreuses occasions de se familiariser avec des langues mondialisées comme lʼanglais, lʼespagnol, le chinois… leur apprentissage se fait aussi à lʼécole et les classes bilingues ou immersives en breton présentent dʼailleurs des résultats en langues vivantes étrangères supérieurs à la moyenne française.
La langue bretonne, en revanche, nʼest pas acceptée à lʼheure actuelle dans les instances internationales et est peu présente dans la sphère publique. Cette situation nʼa rien de naturel : cʼest le résultat dʼune oppression politique longue de plusieurs siècles, dont des générations de brittophones ont été victimes. Aujourdʼhui, une partie de la population souhaite se réapproprier cette langue qui fut celle de plus de la majeure partie du territoire (la toponymie en témoigne) et des grands-parents ou arrière-grands parents de beaucoup dʼentre nous.
En donnant une place à la langue bretonne dans lʼespace public et à lʼécole, notre politique linguistique entend réparer des blessures symboliques et psychologiques et permettre à ceux qui le souhaitent dʼapprendre le breton et de le pratiquer au quotidien. Cʼest une politique de liberté et de dignité. Tout le contraire dʼun repli à notre avis.
Le breton est la seule langue celtique parlée sur le continent et présente des originalités quʼon ne retrouve dans aucune autre langue. Des trésors de littérature et lʼhéritage du savoir de centaines de générations seraient perdus si la langue bretonne venait à sʼéteindre. Il nʼy a quʼen Bretagne quʼelle peut être soutenue par les politiques publiques, tandis que lʼanglais peut être appris et pratiqué partout dans le monde.
Selon nous, être ouvert sur le monde ne signifie pas vouloir homogénéiser les cultures et faire disparaître des centaines de langues au profit de deux ou trois dʼentre elles (souvent celles de nations impérialistes, soit dit en passant). Au contraire, maintenir vivant notre héritage est notre manière de participer à la diversité qui fait la beauté de lʼhumanité. Nous en sommes fiers. Cette démarche sʼinscrit dans les principes de nombreuses conventions et déclarations internationales, et notamment dans les principes de lʼUnesco.
Quant à lʼexemple de la Catalogne, il nous semble excellent : loin du repli identitaire, la Catalogne souhaite sʼassumer comme nation dans le concert européen et adopte une attitude beaucoup plus progressiste et humaniste que celle de lʼÉtat espagnol dans de nombreux domaines, comme par exemple lʼaccueil des réfugiés. Le repli identitaire qui vous inquiète à juste titre menace aujourdʼhui les anciens États impérialistes, France comprise, dont lʼinconscient politique collectif a bien du mal à accepter la diversité interne. Nous contribuons à lutter contre ce repli en assumant en Bretagne de parler une langue différente de celle de lʼÉtat, montrant ainsi la possible reconnaissance de la pluralité culturelle dans un même espace.