Élections galloises : le Plaid pourrait jouer les arbitres

Detail of grunge Red Dragon flag of Wales with a black border.

Le terme de la campagne électorale pour l’Assemblée nationale galloise approche, les électeurs sont convoqués aux urnes le 5 mai. Où en est le Plaid Cymru, le parti du Pays-de-Galles, dans cette campagne marquée par une dévolution de pouvoir renforcée ? Petit tour d’horizon.

Depuis les législatives 2015 (dites élections générales de ce côté-ci de la Manche) et un débat télévisé remarquable, le leader du Plaid Cymru, Leanne Wood, est devenue une femme politique populaire. Elle en avait étonnée plus d’un à l’époque quand, en compagnie de Nicola Sturgeon, son alter égo du SNP, elles avaient étrillé « Ed le Rouge », la falote tête de gondole du Labour. Le piètre Miliband a d’ailleurs bu la tasse entraînant son parti dans une crise profonde avec une base manifestement déroutée par le caractère stratosphérique d’une élite qui a perdu le goût de la sueur. Leanne Wood avait incontestablement engrangé des points. Sa cote de popularité ascensionnelle semble toujours au beau fixe. Bref, en une soirée, elle s’est fait un nom au Royaume-Uni, un royaume dont elle se verrait bien un jour quitter l’orbite pour se consacrer au pays de son cœur, le Pays-de-Galles. Cette quadra ne cache pas son appétit d’indépendance, elle l’avance comme un objectif tout en énonçant de manière pragmatique une série d’étapes préalables à l’atteinte de cet idéal, notamment sur le plan économique. C’est ce qu’elle vient de faire à Aberystwyth (cité universitaire de l’ouest gallois) en répondant aux questions de la télévision locale, lors d’une émission consacrée à la campagne électorale en cours.

Mais qui est Leanne Wood ?

Leanne WoodLeanne Wood est née et a grandi dans la Rhondda Valley, la vallée des mineurs située au nord de Cardiff, et son impressionnante succession de maisons ouvrières mitoyennes. Elle a d’ailleurs vécu la grève mythique des mineurs des années 80 et le bras de fer mortel provoqué à dessein par Margaret Thatcher pour détruire le cœur du syndicalisme britannique, si important dans l’histoire socialiste du royaume. Sa conscience politique s’est éveillée à cette époque de déstructuration de la société galloise dès lors confrontée à un chômage de masse, à la poursuite de l’émigration des jeunes et à la montée des inquiétudes quotidiennes quand à l’avenir avec son cortège de drames familiaux et sociaux. Cette rude expérience et l’exigence sociale qu’elle en retire ne l’oriente pas vers le Labour, toujours bien implanté, mais vers le Plaid Cymru. Elle a fait sa première apparition au sein de l’Assemblée galloise en 2003, une fois la Dévolution1 en marche. En 2012, alors représentante de la gauche du parti, elle en prend les rênes. Première femme à diriger le Plaid Cymru, elle est aussi la première à ce poste à ne pas provenir du nord ouest du pays, le berceau historique du nationalisme gallois. Et le gallois n’est pas une langue dans laquelle elle s’exprime aisément ce qui lui confère un caractère original supplémentaire. Pour autant, elle s’est imposée et elle est présentée comme un leader en capacité d’élargir l’audience électorale du parti nationaliste.

Un nationalisme affirmé, « Tous ensemble ou pas du tout »

Ne comptez pas sur les militants du Plaid pour s’excuser d’être gallois et de surcroit de penser que le Pays-de-Galles doit obtenir les moyens et compétences pour gérer son avenir directement. L’indépendance n’est pas un mot tabou au pays du dragon. Certes, l’engouement indépendantiste n’est pas le même que celui que l’on rencontre chez le cousin écossais. Mais en ce qui concerne la revendication d’une autonomie renforcée, le discours du Plaid Cymru est aussi limpide que l’eau de roche, que dis-je aussi clair qu’une pinte de Brain’s SA Gold ! Il suffit pour s’en convaincre de plonger dans le Manifesto 2016, un document stratégique agréable et facile d’accès dans lequel le parti du Pays-de-Galles livre sa vision de l’avenir, ses grands principes et des éléments de programme. La Nation est au cœur d’un projet ambitieux qui est présenté par leurs auteurs comme le programme de reconstruction le plus important depuis la Dévolution et même depuis 1970 sur le plan économique. Le citoyen gallois sait à qui il a à faire, la direction politique est évidente tout comme les étapes. « Tous ensemble ou pas du tout » apparaît comme une sorte de cri de ralliement pour donner une ambition au pays.

Un programme qui pète la santé !

Logo PlaidEn 2014, le processus de Dévolution a franchi une nouvelle étape en donnant à l’Assemblée nationale galloise le pouvoir de lever des taxes et de légiférer dans certains domaines comme celui de la santé. Pas étonnant qu’il figure en bonne place dans le programme du Plaid. Neuf étapes sur le chemin d’une « nouvelle nation » sont décrites à commencer par des mesures concrètes concernant la réduction des temps de diagnostic pour les cancers et leur gratuité, la volonté d’augmenter le nombre de médecins (1 000) et d’infirmières (5 000), l’abolition du paiement des soins à domicile pour les personnes âgées et les personnes atteintes de démence. L’éducation est la seconde priorité avec le développement d’un programme d’ouverture de crèches gratuites, le recentrage de l’école sur les savoirs fondamentaux, le remboursement de 18 000 livres de dettes d’études pour les étudiants qui privilégient le travail au pays ou encore la volonté d’ouvrir 50 000 postes d’apprentis supplémentaires. Cette fibre sociale affichée comme une priorité est complétée par des mesures économiques pour encourager les entreprises locales notamment dans leurs démarches d’exportation, et des investissements massifs dans les énergies renouvelables et les transports pour faciliter les mobilités internes. Bref, y a du boulot et le tout est emballé dans un design attrayant.

Le Labour dans le viseur

Il paraît aussi évident que le Plaid chasse à gauche. Il rejette nettement la droite mais c’est bien l’électorat du Labour, parti actuellement à la tête de l’Assemblée, qui l’intéresse. L’objectif était le même un an auparavant au moment des Législatives ce qui a donné, ici ou là, des écarts infinitésimales entre les candidats des deux partis, comme sur l’île d’Anglesey, ou de belles progressions du Plaid comme dans la vallée emblématique de Rhondda. Le Labour est dans une situation délicate, en pleine déliquescence à l’échelle du Royaume mais dans une relative posture de résistance au Pays-de-Galles. Si le Plaid tente de proposer une alternative progressiste et écologique à l’électorat du Labour, ce dernier est aussi siphonné par UKIP, l’extrême droite britannique qui, comme en France, joue sur les mécontentements et les peurs pour engranger à son profit le vote populaire. Lors des législatives 2015, le Pays-de-Galles a une nouvelle fois fait confiance à la gauche au beau milieu de la déferlante conservatrice mais le Parti qui a le plus progressé est UKIP au point qu’il est devenu le troisième parti du pays, devant… le Plaid… mais sans un élu à Westminster. Quoi qu’il en soit, interrogée par les médias, Leanne Wood a déclaré que son parti ne préparait aucune coalition avec le Labour et qu’il souhaitait un « gouvernement du Plaid ». Là aussi, c’est dit.

Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?

Difficile à dire. On est bien sur une élection locale qui, depuis la Dévolution, a pris du poids politique, symboliquement, en termes de représentations, et concrètement en termes de compétences et d’outillages institutionnels. On pourrait donc penser que l’électorat gallois s’exprime dans le cadre donné et qu’il ne se laisse pas happer par des problématiques extra nationales. Dans ce cas de figure, le Plaid dispose de bons atouts pour réussir dans ce scrutin essentiel pour lui puisqu’il correspond à son espace principal de revendications.

Il y a toutefois un hic : le Brexit dont le dénouement électoral est attendu au mois de juin. Quel est son influence sur la campagne ? Ce référendum « Pour ou contre la sortie de l’Union Européenne » parasite-t-il le débat ? On peut le penser. Le Plaid a d’ores et déjà suivi l’intuition de Nicola Sturgeon en déclarant son attachement à l’Union Européenne. L’Écosse comme le Pays-de-Galles semblent sur ce point en désaccord avec l’Angleterre plus encline à succomber aux discours hostiles à l’Europe et où réside la majorité de la population, donc des votants. Le Brexit apparaît comme un accélérateur de rupture entre les nations qui composent le Royaume-Uni. Est-ce à dire que, sur cette question qui occupe la place publique, l’électorat gallois trouvera refuge auprès du Plaid dès le scrutin du 5 mai ? À ce niveau rien n’est moins sûr et ce d’autant plus que Jeremy Corbin, le nouveau leader travailliste, bien qu’il ne soit personnellement guère européiste, vient de dévoiler la position officielle du Labour qui se prononce pour un maintien dans l’Union Européenne. Enfin – et ce n’est pas anodin – la perspective du Brexit favorise UKIP qui, malheureusement, devrait faire son entrée à l’Assemblée nationale galloise.

Que révèle la lecture de la panse de mouton ?

Ici comme partout les sondages se multiplient et les commentaires vont bon train comme si les candidats étaient d’ores et déjà engagés dans une course avec ses aléas dont l’arrivée sera sanctionnée le 5 mai ou plutôt le lendemain de la fermeture des bureaux de vote, aux premières brumes matinales. Et bien selon un carottage réalisé entre le 7 et le 11 avril pour ITV, le Plaid obtiendrait 12 sièges ce qui le placerait en seconde position derrière le Labour détenteur de 28 sièges. L’écart peut paraître significatif et il l’est mais il faut bien considérer que l’hémicycle compte 60 sièges ce qui donnerait une majorité toute relative aux travaillistes gallois. Dans cette configuration le « petit » Plaid aurait toute légitimité à souffler quelques orientations politiques à la gauche britto-galloise. Cette dernière serait en recul de deux sièges quand le Plaid en gagnerait un par rapport au dernier cru 2011. Derrière ? Et bien la droite se prendrait les pieds dans le tapis avec des conservateurs à l’agonie avec seulement 10 sièges (4 de chute !) et Lib Dem qui passerait d’un trio toujours compliqué à un duo plus romantique. Cette jolie histoire électorale serait bien sympathique si elle ne se terminait par l’entrée fracassante de UKIP dans cette assemblée. Avec 8 sièges, l’extrême droite britannique donnerait une tonalité tout autre aux débats dans une assemblée qui a été la première au monde à connaître une parité parfaite homme-femme en 2003… justement quand Leanne Wood y a fait sa première entrée. Mais n’allons pas trop vite en besogne, il s’agit de sondages et s’il est vrai qu’ils se caractérisent par une certaine stabilité depuis décembre 2015, « leur vérité » n’est pas encore vérifiée dans les urnes. Il reste 15 jours de campagnes soit suffisamment de temps pour perturber cette petite musique aux aigus désagréables. Sait-on jamais ?

Welsh-ParliamentPour en revenir au Plaid et toujours à ce que disent les sondages, il est important de préciser les contours de la règle qui commande les résultats. L’élection se joue au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans 40 circonscriptions. Un scrutin proportionnel plurinominal organisé à l’échelle de 5 régions électorales complète la livrée à hauteur de 20 élus. Et à ce petit jeu, le Plaid obtiendrait 7 sièges dans les circonscriptions et 5 sur les listes, preuve s’il en est que le charisme individuel demeure décisif dans le jeu de la démocratie représentative.

Bref, si l’histoire doit se terminer ainsi, le Plaid aura tiré son épingle du jeu en étant, dans un contexte de forte poussée de l’extrême droite, le seul parti de la représentation galloise à faire mieux que se maintenir, puisqu’il grignote un siège. Sa parole devrait donc prendre du poids. Mais comme l’écrivait le poète gallois Dylan Thomas, « Lutte ! Rallume cette lumière qui s’est éteint ». À suivre…

 

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1 La Dévolution est une promesse du candidat Tony Blair lors de l’élection générale britannique de 1997. Il s’engageait à donner plus de pouvoir aux nations constitutives du royaume dont le Pays-de-Galles qui a vu depuis 1998 une succession d’actes confortée l’autonomie de décision de son Assemblée nationale.

> Christophe Kergosien

Christophe Kergosien est un ancien journaliste. Il s'intéresse aux questions énergétiques, mais aussi de démocratie locale.