Réflexions sur la Libye

Libye
Le « problème libyen » résulte dʼabord dʼune méconnaissance géopolitique ou plus vraisemblablement dʼune absence de reconnaissance dʼune communauté majeure dans ce pays dit « arabe » : les Amazighs. Pour la rédaction de Tamazgha en effet, « les puissances internationales (…) savent très bien que les Amazighs sont la seule alternative à la situation chaotique que vit la Libye depuis la chute de Kadhafi. Elles sont également conscientes de la force, y compris militaire, des Amazighs. Pourtant, ces puissances feignent d’ignorer ces Amazighs et leur voix est étouffée. La communauté internationale a fait le choix de donner écho aux voix de ceux qui sèment la barbarie et la terreur ».

Le journal a dʼailleurs publié il y a quelques jours une tribune de Fethi N Khalifa, militant amazigh de Libye réfugié au Pays-Bas sous Kadhafi, conseiller juridique auprès du Conseil National de Transition libyen durant la révolution de 2011 et ancien président du Congrès Mondial Amazigh (CMA). Dans cette tribune, ce dernier rappelle les faits qui ont marqué la Libye depuis la chute de Kadhafi en 2011, mais aussi depuis la rédaction de la déclaration constitutionnelle du conseil national de transition : « en août 2011, les Amazighs ont pointé du doigt les faiblesses de la déclaration constitutionnelle intérimaire. Ils ont souligné ses aspects dangereux, tel que le fait que pas un seul article ne mentionnait le rôle d’une armée nationale et de services de sécurité dans le nouvel État. Ils expliquèrent qu’à cause de cela, tous les groupes militarisés se transformeraient en milices n’obéissant à aucune loi, chacune affirmant sa légitimité. Ce document constitutionnel ne traitait pas du système judiciaire, d’une justice de transition, ni de réconciliation nationale, qui demeure une question très sensible. Ce document n’a fait que cimenter la discrimination ethnique, culturelle et linguistique. Le manque d’égalité entre les langues et cultures des différents groupes a créé un gouffre entre Libyens ». En ce sens, les Amazighs avaient vu juste et les écouter aurait permis dʼéviter la situation politique actuelle, notamment la présence de Daesh sur le sol libyen.

De même, de nombreuses voix amazighes sʼétaient étonnées de la précipitation avec laquelle les « élections » avaient eu lieu, sans prendre le temps de reconstruire la démocratie : « la démocratie commence par la connaissance et l’éveil plutôt que par l’attribution de fonds électoraux et la propagande » argumente Fethi N Khalifa. En 2014, les Amazighs ont boycotté les élections. Et fin 2014-début 2015, quand un dialogue a débuté sous la houlette des Nations Unies, ces derniers nʼont pas été invités à la table des négociations. De quoi radicaliser ces militants pacifistes. Fethi N Khalifa sʼinterroge : « Pourquoi la détresse des Amazighs est-elle systématiquement ignorée ? Parce qu’elle s’exprime de façon pacifique, et non par des armes ou par le blocus des puits de pétrole ? Reste-t-elle ignorée parce que nous avons pris des mesures pour combattre l’immigration illégale vers la rive nord de la Méditerranée ? S’il en est ainsi, quel message nous envoie la communauté internationale ? Devrions-nous parler le langage des armes pour être reconnus politiquement ? »

Ce constat est malheureusement partagé par nombre de peuples sans État qui, bien que refusant la violence, perçoivent la surdité des États dominants et lʼabsence de reconnaissance de ceux-ci sans rapport de force. Les communautés amazighs ont souffert pendant des décennies du régime arabo-islamiste de Khadafi et bien quʼayant été un acteur clef dans la révolution libyenne, ne reçoivent pas la reconnaissance escomptée de la communauté internationale.

Désormais, la communauté amazigh de Libye semble se concentrer sur la construction dʼune autonomie plutôt que sur la participation à un gouvernement central.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]