La répression comme réponse politique ?

Photo Zeuhl Berg rennes 2030
Photo prise par Zeuhl Berg

Les villes de Rennes et Nantes y sont habituées : chaque visite de ministre est accompagnée dʼun hélicoptère stationnaire durant toute la durée du séjour, chaque manifestation prévue est précédée de dizaines de cars de CRS et chaque rassemblement a son lot de blessés. Alors que la grogne envers la loi dite « Travail » de Myriam El-Khomeri se poursuit, les vidéos sur le net se multiplient montrant des policiers frappant des jeunes au sol, ces derniers nʼétant pas toujours majeurs. Les élus de la République semblent avoir de plus en plus peur de la base.

Les réactions à ces violences policières sont timides : lʼhabitude. Les citoyens sont en effet blasés par le rapport de force permanent entre « la rue » et « lʼélite », ils ne conçoivent pas véritablement la politique comme autre chose quʼun rapport très vertical du type « dominant-dominé ». Que le pouvoir dominant cherche à imposer le droit face à des manifestants qui ne réclament finalement rien dʼautre quʼun peu de reconnaissance, que la possibilité dʼexercer justement le droit dʼêtre citoyens et non sujets, est finalement quelque chose dʼassez légitime pour les masses. En somme, lʼautorité est légale. Dès lors, la contestation serait superflue.

Comme en Turquie, le pouvoir politique français, secondé par la « préfectorale », répond autoritairement aux problèmes politiques. Cela a dʼailleurs toujours été la méthode de lʼÉtat central français. Or, la violence nʼest jamais gratuite. Elle est le résultat dʼune oppression, réelle ou ressentie, et le Droit ne peut jamais répondre correctement à un problème politique. Dʼune part parce que le Droit est écrit par le puissant et donc nʼest pas systématiquement juste. Dʼautre part parce quʼil met volontairement de côté les causes du mal-être générant la violence. Tenter de traiter un mouvement politique radical par lʼarmée ou la police relève de la bêtise. La violence ne sʼexprime que lorsque lʼissue politique est bouchée. Aux politiques donc de se poser les bonnes questions !

Nos sociétés sont habituées à la violence, aux images choc. Paradoxalement, la « violence » semble être majoritairement rejetée par les citoyens. Les manifestants qui en usent se font involontairement les instruments de la légitime violence de la puissance publique. Il suffit de faire un pas de côté, de discuter avec les témoins des manifestations, pour entendre resurgir des discours réactionnaires alors même que les dits témoins peuvent être les premières victimes de cette loi anti-sociale quʼest la loi El-Khomeri.

Force est de constater, pourtant, que les grévistes sont beaucoup plus paisibles et calmes que par le passé. Il nʼest pas si loin le temps où les CRS fuyaient devant les manifestants. En 1961, les agriculteurs nʼavaient pas seulement défoncé les grilles de la sous-préfecture à Morlaix, mais lʼavaient purement et simplement prise. De même, en 1994, la bataille rangée qui opposa à Rennes marins-pêcheurs et CRS nʼétaient pas au bénéfice des derniers. Ces deux exemples restées dans les mémoires collectives en Bretagne ne sont quʼune madeleine de Proust permettant de faire resurgir dans les esprits les dizaines dʼautres mouvement dʼhumeur assez violents que lʼon imagine presque plus aujourdʼhui si ce nʼest, peut-être, du côté des agriculteurs, mais qui sont très impopulaires.

Face à ce paradoxe, le sérail politique parisien est de plus en plus cynique. À mesure que se multiplient les mots « dialogue » et « écoute », le pouvoir nʼen finit plus de se « verticaliser », de croire que lʼavenir dʼun ou de plusieurs peuples peut se décider en comité restreint. Et que, pour le bien de tous, il sʼagit dʼimposer cet avenir. Ce refus de sʼhorizontaliser, cette incapacité à penser le pouvoir autrement que centralisé, rend inaccessible la démocratie à la majorité des citoyens. Dès lors, le système reste au bénéfice dʼune caste de privilégiés qui sʼétonnent que le « bas peuple » sʼéchauffe du fait de la mise en place dʼun projet de société pour lequel il nʼa même pas voté !

Alors que les coups de matraque pleuvent contre les étudiants et lycées, rappelons cette phrase de François Mitterrand : « la jeunesse nʼa pas toujours raison, mais la société qui la frappe a toujours tort ». François Hollande, qui a fait de la jeunesse une priorité de son quinquennat, ferait bien de sʼen souvenir.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]