Une grève inédite à la Cooperl de Lamballe

Cooperl siège

En grève depuis jeudi 25 février, les salariés de la Cooperl ne baissent pas les bras. Malgré la surdité de la direction, barrages filtrants et débrayages continuent de plus belle et les grévistes sont soudés. Le Peuple breton sʼest rendu sur place.

LʼHistoire de la Cooperl débute en 1966 : « 24 éleveurs passionnés par leur métier décident d’unir leur force pour mieux vivre du fruit de leur travail et trouver de nouveaux débouchés aux produits issus de l’agriculture », explique le site du groupe. Cʼest le temps des coopératives en Bretagne, celles qui ont permis aux producteurs de sʼorganiser face au marché. Aujourdʼhui présidé par Patrice Drillet et dirigé par Emmanuel Commault, le groupe Cooperl compte 2700 éleveurs-adhérents, « propriétaires du capital social de la coopérative ». Il est aujourdʼhui lʼemployeur incontournable du pays de Lamballe et lʼun des plus gros groupe agro-alimentaire de Bretagne avec environ 10000 porcs abattus à Lamballe chaque jour et environ 6000 à 7000 porcs à Montfort-sur-Meu.

Mais alors que lʼentreprise explique sur son site que « ses valeurs sont celles de la coopération et particulièrement les suivantes : la solidarité, l’engagement et l’équité entre les hommes et les femmes qui la composent », une simple rencontre avec les salariés exprime une tout autre version, loin de la « valorisation du travail de chacun ».

Tuerie, abattage, découpe, salaison… Exceptés les bureaux, lʼensemble des postes de travail du site de la Cooperl, à Lamballe, est en effet en grève depuis plusieurs jours. « Il faut dire que la répression est féroce et que les bureaux sont en contact direct avec la direction. » justifie Noël Carré, lʼun des responsables syndicaux. Malgré lʼampleur et le caractère inédit du mouvement social (environ 300 grévistes le matin du 7 mars), aucun dialogue nʼa encore pu être établi entre les grévistes et M. Cummault. Marie-Jeanne Menier, déléguée CFDT, explique que la grève a débuté alors que lʼintersyndicale menait une négociation de salaires. « En guise de réponse, nous avons eu le droit à une proposition de baisse des acquis alors quʼil y a deux ans, nous avons déjà accordé à la direction des heures supplémentaires ».

Dans une lettre aux éleveurs de la Cooperl, le directeur cherche à casser le mouvement en le minimisant : « Malgré ce quʼen dit la presse, la mobilisation reste limité. En effet, au plus fort du débrayage, la mobilisation nʼa pas rassemblé plus de 15 % de nos effectifs, sur le site de Lamballe essentiellement ». Et de persister : « Notre proposition, bien comprise par une majorité des salariés, est de geler les salaires pour 2016 et de remettre en cause les modalités de calcul de lʼancienneté et du treizième mois afin de les rapprocher de la convention collective nationale. Cette réforme solidaire, juste et nécessaire sera menée à terme. »

Un différent sémantique oppose donc M. Commault et ses salariés qui ne perçoivent pas vraiment où se trouve la justice dans cette proposition ! Noël Carré (CGT) et Jean-Marc Pihan (FO) certifient en effet que de lʼargent, la Cooperl en a : « le groupe a investi sur le site de Plestan 45 millions dʼeuros, sans emprunt ». Le problème, cʼest que même les syndicats nʼont aucune visibilité sur les comptes de lʼentreprise. « La direction nʼa aucune obligation légale de les divulguer », explique Noël Carré tout en rappelant que les « filiales de la Cooperl, comme Brocéliande par exemple, bénéficient du CICE et des subventions publiques ».

Selon les syndicalistes, le groupe a profité des prix du porc bas pour faire de substantiels bénéfices alors que M. Commault justifie sa politique par la solidarité avec les éleveurs. Pour le porte-parole de lʼUnion démocratique bretonne, Nil Caouissin, « la Cooperl a contribué à lʼéchec de la fixation dʼun prix minimum au marché de Plérin lʼété dernier. Difficile dans ces conditions dʼaccepter lʼargumentation de la direction qui justifie les sacrifices imposés aux salariés par la nécessité de soutenir les éleveurs » Les grévistes affirment dʼailleurs que de nombreux éleveurs soutiennent leurs revendications sans pour autant oser le dire publiquement. Cette peur révèle la limite du système intégré : les producteurs sont tellement dépendants de la Cooperl quʼils nʼont pas dʼautres choix que de suivre.

En attendant, les grévistes filtrent les camions à lʼentrée du site ou distribuent des tracts sur les rond-points. Lors de la pause du midi, dans une salle prêtée par la commune de Maroué, on sent le découragement chez certains salariés qui aimeraient faire plus que dʼarpenter les rues attenantes de lʼentreprise durant toute la journée. La direction sait pertinemment quʼavec des salaires faibles, la grève est un choix difficile pour beaucoup et que le temps joue contre les grévistes. Un élu local de Lamballe confie même que le directeur est parti jusquʼà jeudi ce qui témoigne dʼun mépris écœurant envers les salariés. Un mépris qui semble être une marque de fabrique de la Cooperl si on en croit le témoignage dʼune des grévistes, sur la chaîne depuis de nombreuses années : « nous sommes chronométrés par des coatchs québécois présents dans lʼentreprise pour améliorer les cadences. Ils disent que nous ne travaillons pas assez vite. Depuis plusieurs années, les conditions de travail se dégradent. Aujourdʼhui, il faut justifier le moindre arrêt du tapis. Même plus le temps de se moucher ! »

Même son de cloche chez deux autres femmes qui se plaignent des « chefs ». La politesse fait pâle figure face à la compétitivité ! « Le directeur vient une fois par an et on ne le voit jamais le reste du temps ». Mais ces grévistes comprennent mieux que quiconque que sʼils se laissent faire, la situation sera pire encore dans le futur. En supprimant les primes dʼancienneté ou dʼhabillage, ce nʼest pas seulement un gel des salaires, mais une remise en cause des acquis qui est en jeu. Et ça, cʼest inadmissible pour ces salariés qui ont déjà lʼimpression dʼavoir donné beaucoup : « on commence 10 minutes plus tôt le matin et on travaille 37 h par semaine au lieu de 35, sans être payés plus », rappelle Jean-Marc Pihan.

Pour couronner le tout, le matériel ne suit pas. Un exemple : certains couteaux ne coupent pas si bien que les salariés forcent sur la viande. Beaucoup dʼanciens montrent leurs poignets opérés. Denis, à la découpe depuis 34 ans, est le seul sur cinq à ne pas encore avoir été opéré pour des problèmes musculo-squelettiques : « cʼest juste une question de temps. Je sais que jʼy passerai aussi car jʼai de plus en plus de douleurs. »

Pour toutes ces raisons, Marie-Jeanne Menier est persuadée que « les salariés doivent tenir. Si on perd ici, les mauvaises conditions salariales se généraliseront. Ici, mais ailleurs également. Beaucoup de jeunes suivent le mouvement et nous donnent envie de nous mobiliser. » La population de Lamballe est solidaire et un groupe dʼhabitants a déjà commencé à récolter des fonds pour les grévistes. À lʼoccasion de la manifestion du 9 mars, lʼUDB mènera elle aussi une collecte de fonds en faveur des salariés. Cette caisse de grève servira a minima à payer les repas du midi des grévistes et contribuera à faire durer autant que possible cette mobilisation légitime.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]