Jean-Jacques Urvoas vient dʼêtre nommé Ministre de la Justice. « Encore un Breton » sʼextasient certains quand dʼautres se désolent. À vrai dire, quʼil soit Breton ou non ne devrait pas changer notre appréciation du personnage, ni surestimer le pouvoir de ce soit-disant lobby au gouvernement tant on mesure leur pouvoir réel sur certains dossiers emblématiques bretons (langue bretonne et réunification pour ne citer que deux exemples sur lesquels Jean-Jacques Urvoas sʼétait engagé). Ancien président de la commission des Lois à lʼAssemblée Nationale, cette place au Ministère de la Justice nʼest pas franchement une surprise pour ce proche de Manuel Valls. Pour se faire une idée des positions que défend le nouveau ministre, nous avons lu un rapport daté de 2012, élaboré par la fondation soi-disant « indépendante » du Parti socialiste Terra Nova et dont il est lʼauteur. Son thème : la sécurité !
Jean-Jacques Urvoas est donc le nouveau Ministre de la Justice. On sait pourtant que cʼest au Ministère de lʼIntérieur quʼil aurait voulu être nommé. Hélas pour lui, cʼest Mme Taubira qui a démissionné et non M. Cazeneuve, plus enclin à accepter la politique actuelle du gouvernement dont on se demande encore ce quʼelle a de gauche. Juriste, Jean-Jacques Urvoas nʼest pas sans savoir que la Justice nʼest pas juste et quʼelle nécessite des lois qui le soient. Son expérience à la commission des lois lui sera donc très utile au Ministère.
Loin de nous lʼidée de décerner des diplômes de moralité, mais il nous a paru important de relire ce rapport de Terra Nova maintenant que le quimpérois a accédé à cette haute fonction pour confronter les idées de 2012 à la réalité dʼaujourdʼhui. Passé le fait que ce rapport résume « la gauche » au Parti socialiste, lʼobjectif initial est intéressant : « la gauche donc devra prendre conscience que la recherche de lʼefficacité et de l’adaptation aux territoires devra être en matière de sécurité sa boussole ». Dès le départ, Jean-Jacques Urvoas sʼaffirme donc comme un décentralisateur, quelquʼun qui refuse le dogme jacobin pour une meilleure efficacité. Étonnant dʼailleurs à quel point les « décentralisateurs » du gouvernement sont affectés aux fonctions régaliennes de lʼÉtat : Défense pour Jean-Yves Le Drian, Justice pour Jean-Jacques Urvoas, Réforme de lʼÉtat (donc jacobinisme !) pour Marylise Lebranchu…
Cʼest peut-être que, dans lʼesprit de cette gauche-là, la différence entre « décentralisation » et « déconcentration » nʼest pas très claire. Pourtant, le constat est là. Le rapport affirme par exemple quʼ« à la différence du modèle anglo-saxon, le modèle français de sécurité a promu un appareil policier bien plus dédié à la protection de l’État qu’à celle des personnes et des biens : il en a résulté une organisation centralisée qui confère au pouvoir central une place prépondérante. » Et encore : « il faut (…) privilégier une organisation territorialisée du ministère. Du fait de sa logique pyramidale, rigide, fortement hiérarchisée, elle fonctionne difficilement en réseau. En tant qu’administration passive, régie par un nombre toujours croissant de règles et de directives opérationnelles et administratives, elle est incapable de faite en sorte que ses agents deviennent des acteurs. Homogène et amorphe, la gestion de ses ressources humaines exige surtout conformisme et docilité. Repliée sur elle-même, grippée par des attentes contradictoires, elle est trop lourde pour répondre aux attentes des citoyens ».
Des attentes dont on ne peut être en désaccord fondamental si seulement nʼétait proposée comme solution dʼ« oser la déconcentration sur une base régionale ». « La déconcentration régionale mettra fin au morcellement institutionnel en créant un véritable commandement géographique opérationnel. Le directeur régional devra bénéficier d’une substantielle autonomie pour moderniser et améliorer notablement la qualité du service rendu à nos concitoyens » explique le rapport. En somme, M. Urvoas préconisait à lʼépoque de raccourcir le manche, mais que le marteau ne change pas. Ainsi donc, cette préconisation créerait des services de lʼÉtat organisés de façon plus administrative (mais toujours pas fédérale) tout en conservant un pilotage des opérations depuis le sommet, dans une logique très verticale. Bien loin des principes dʼautonomie donc. La police reste et restera une fonction dʼÉtat donc, de notre point de vue, éloignée des réalités des citoyens.
Mais ce qui est troublant, cʼest de constater à quel point le gouvernement a pris à contre-pied un certain nombre de recommandations de ce rapport écrit par Jean-Jacques Urvoas pourtant promu ministre. Le « simplisme enfin confine à lʼaveuglement lorsquʼon continue de penser que lʼenvoi massif de CRS et de gendarmes mobiles en opérations coup de poing peut permettre de rétablir la paix durablement (…) ». Aussi bien à Notre-Dame-des-Landes quʼà Calais, quelques soient les manifestations, les CRS sont bien omniprésents. Et cela, depuis bien avant les attentats de 2015. Le moindre déplacement de ministre nécessite hélicoptères et véhicules blindés alors que le rapport préconisait de « substituer à une logique d’éloignement et de militarisation progressive des forces de police et de gendarmerie des agents généralistes de quartier, bien équipés et bien formés ».
Si ce nʼétait triste, on serait tenté de rire (jaune) en lisant cette phrase : « Ce sont aussi les personnes victimes de discriminations (sexuelle, ethnique, ou à raison d’un handicap) qui devraient pouvoir bénéficier de dispositifs d’accueil et de prise en charge renforcés ». Quand on sait lʼaccueil réservé aux migrants, on a de quoi sʼinterroger sur les motivations de Jean-Jacques Urvoas au Ministère ! Dʼautant que – attentats obligent – une des préconisations du rapport est passée complètement à la trappe : « avant même de porter sur le ministère de l’Intérieur, l’effort budgétaire doit profiter au ministère de la Justice, tant ses besoins s’avèrent criants ». Ils le sont toujours…
Ce rapport de Terra Nova compte malgré tout un certain nombre dʼidées intéressantes comme le fait de faire de la police un « véritable service public », comme la volonté de « mettre fin à la politique du chiffre au profit d’une approche fondée sur la qualité du service rendu à la population » ou comme « lʼabolition de lʼincarcération des mineurs ». On notera même à quel point ce rapport était visionnaire : « Contrairement à une idée trop largement répandue dans ses rangs, elle [la gauche] n’aurait rien à gagner, mais bien plutôt tout à perdre, à engager le combat contre la droite sur le terrain de la surenchère sécuritaire. Non seulement cette stratégie relève de l’impasse, mais elle risque même d’induire un divorce durable avec l’opinion publique ». Assurément, le remplacement de Christiane Taubira par Jean-Jacques Urvoas, un fidèle, va assainir les rapports internes au gouvernement. Mais ce dernier aura-t-il le pouvoir dʼassainir les rapports du gouvernement avec les citoyens ? Le changement, cʼest maintenant ? Difficile dʼy croire encore…