
Le Peuple breton a mis la main sur le plan de politique linguistique pour le breton présenté par Ana Sohier, élue UDB en charge de la politique linguistique et du patrimoine. Ce texte a été voté lundi 23 novembre à Rennes.
Il existe aujourd’hui quelque 6 000 langues parlées dans le monde. Si rien n’est fait, l’Unesco estime que la moitié disparaîtra d’ici la fin du siècle. L’humanité y perdrait non seulement une richesse culturelle, mais aussi toutes les connaissances accumulées par la mémoire populaire.
Ce processus n’est ni inévitable ni irréversible. La mise en œuvre de politiques linguistiques permet de renforcer les efforts effectués par les communautés de locuteurs pour maintenir ou revitaliser leurs langues maternelles et les transmettre aux générations les plus jeunes.
Adopter une politique linguistique de transmission et de valorisation de la langue bretonne, seule langue celtique parlée sur le continent européen, participe d’un effort universel pour la défense de la diversité culturelle comme bien commun de l’humanité. La Déclaration universelle sur la diversité culturelle, adoptée par l’Unesco, pose des principes pour les politiques publiques dans le cadre de la défense de la diversité culturelle. C’est sur ces principes que la Ville de Rennes entend bâtir sa politique linguistique.
Selon cette déclaration, la diversité culturelle constitue une « source d’échanges, d’innovation et de créativité » et est, « pour le genre humain, aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. » « En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures » (article 1).
Ce texte établit également des droits : « Toute personne doit ainsi pouvoir s’exprimer, créer et diffuser ses œuvres dans la langue de son choix et en particulier dans sa langue maternelle ; toute personne a le droit à une éducation et une formation de qualité qui respectent pleinement son identité culturelle ; toute personne doit pouvoir participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles, dans les limites qu’impose le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (article 5).
Pour garantir ces droits individuels, une intervention dans la sphère publique est nécessaire : « Tout en assurant la libre circulation des idées par le mot et par l’image, il faut veiller à ce que toutes les cultures puissent s’exprimer et se faire connaître. La liberté d’expression, le pluralisme des médias, le multilinguisme, l’égalité d’accès aux expressions artistiques, au savoir scientifique et technologique – y compris sous la forme numérique – et la possibilité, pour toutes les cultures, d’être présentes dans les moyens d’expression et de diffusion, sont les garants de la diversité culturelle » (article 6).
C’est à la puissance publique qu’il revient d’assumer cette responsabilité : « Les seules forces du marché ne peuvent garantir la préservation et la promotion de la diversité culturelle, gage d’un développement humain durable. Dans cette perspective, il convient de réaffirmer le rôle primordial des politiques publiques, en partenariat avec le secteur privé et la société civile » (article 11).
Capitale d’une région où vit une langue originale depuis plus de quinze siècles, et où une forte demande existe pour que sa transmission soit assurée, Rennes s’engage avec volontarisme dans une politique linguistique répondant aux principes de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’Unesco : garantie de l’effectivité du droit à créer et à diffuser des œuvres en breton, à recevoir une éducation dans cette langue, présence visible de la langue bretonne dans la sphère publique.
Il y a 100 ans, la langue bretonne était parlée par plus d’un million de personne en Bretagne. Cependant, au cours du XXe siècle, le nombre de locuteurs n’a cessé de décliner. Aujourd’hui, malgré une production littéraire et culturelle ininterrompue, le breton est marginalisé dans les média et trouve difficilement sa place dans l’espace public. Pourtant la demande sociale progresse et une grande partie de la population, y compris non brittophone, se mobilise pour que la langue bretonne soit transmise et parlée, en témoigne l’engouement notable pour les classes bilingues et immersives.
Alors que la langue bretonne était autrefois, en premier lieu, celle des campagnes de Basse-Bretagne, une recomposition s’est amorcée, conséquence de la mobilité des populations et des dynamiques démographiques bretonnes. C’est à présent dans les villes, et au sein de la jeunesse, que la langue bretonne renaît. Les pouvoirs publics de ces territoires urbains sont donc en première ligne pour soutenir, accompagner, encourager ce renouveau. Rennes, métropole et capitale régionale, contribue à écrire cette nouvelle page de l’histoire de la langue.
La Ville n’œuvre pas seulement pour sauvegarder ce patrimoine linguistique, elle encourage également une ouverture d’esprit par la reconnaissance de la légitimité du plurilinguisme dans l’enseignement comme dans l’espace public. En s’engageant pour la langue bretonne, elle affirme son rôle de capitale régionale et assume une singularité. Elle combine ouverture internationale et enracinement dans une région, jouant ainsi pleinement son rôle d’interface entre les flux d’échanges mondiaux et la vie de son territoire.
Rennes soutient depuis longtemps la langue bretonne et a été un des premiers pôles de développement de l’enseignement bilingue et immersif dans les années 1970. La Ville a signé en 2008 le niveau 1 de la Charte Ya d’ar Brezhoneg, portée par l’Office public de la langue bretonne, sur la base de cinq actions : panneaux bilingues aux entrées et sorties de la commune, participation à la campagne annuelle de promotion des cours de breton pour adultes, financement de formations pour le personnel municipal volontaire, aide à l’installation et au développement d’une filière bilingue.
En 2014, la Ville s’est engagée vers le niveau 2 de la Charte, avec de nouvelles actions :
– la mise en place de cartons d’invitations bilingues pour une partie des manifestations organisées par la mairie (40 au moins),
– un message bilingue sur le répondeur de la mairie,
– la présence d’un éditorial en breton dans le journal municipal,
– la mise en place d’une signalétique bilingue sur des bâtiments dépendants de la mairie,
– la mise en valeur bilingue du patrimoine,
– la réalisation d’une enquête auprès des parents d’élèves de la commune afin de mesurer la demande sociale en matière d’enseignement bilingue,
– l’installation de plaques de rue bilingues lors du renouvellement des plaques,
– l’apport d’une aide financière et/ou technique à la mise en place d’une crèche en langue bretonne.
La langue bretonne est aujourd’hui particulièrement dynamique à Rennes. La ville se démarque aussi bien au niveau de l’enseignement bilingue que de l’enseignement universitaire et des formations pour adultes. La vie associative et les activités autour de la langue bretonne sont riches et diverses. Rennes a souvent été pionnière dans le domaine de la création en langue bretonne : première université offrant une chaire de breton, création de Skol an Emsav, centre de formation pour adultes, ouverture, il y a plus de 40 ans, d’une des premières écoles Diwan et d’écoles publiques bilingues… Rennes est donc l’un des pôles majeurs du développement de la langue bretonne.
Certains Rennais utilisent le breton quotidiennement pour leurs études (Université de Rennes 2), dans leur milieu professionnel (associations, institutions…), comme dans leur vie privée. Le breton est de plus en plus pratiqué à Rennes, notamment par les jeunes. Il est donc naturel de continuer d’offrir une plus grande visibilité à la langue bretonne dans la vie publique. L’avenir de la langue bretonne dépend surtout des jeunes locuteurs, et l’enseignement est l’élément-clé de son épanouissement. La Ville de Rennes s’engage à soutenir l’ouverture de nouvelles filières bilingues et immersives à Rennes et en faire la promotion. Il est aussi essentiel de soutenir et promouvoir l’enseignement du breton aux adultes.
Nous adoptons pour principe :
– d’œuvrer pour que tous les Rennais, enfants ou adultes, qui souhaitent apprendre et connaître le breton continuent de pouvoir le faire, en formation initiale ou permanente,
– de promouvoir la présence du breton dans la vie publique.
Ce plan de politique linguistique pour le breton est donc une nouvelle étape. Il permettra de lancer de nouvelles expériences et de renforcer celles qui ont fait leurs preuves. La Ville de Rennes propose ci-dessous des objectifs de développement de l’apprentissage de la langue bretonne, de sa pratique et de sa visibilité dans la vie publique, en vue de permettre son appropriation par le plus grand nombre, dans le respect de la liberté de chacun.
Axes de travail (2015-2020)
Conforter et accroître le nombre de brittophones rennais
1. Favoriser la mise en place de crèches en breton
La ville s’engage à expérimenter une unité de vie bilingue dans une crèche municipale (Courrouze) et à soutenir les projets associatifs de crèches par immersion ou bilingues afin de disposer d’une offre de proximité.
2. Faire passer le nombre d’enfants scolarisés en breton à Rennes de 700 à 1200 d’ici 2020
La ville s’engage à soutenir l’ouverture de nouveaux sites bilingues dans le public et le privé. Le chantier de la Courrouze ne permettant pas l’ouverture d’une troisième filière bilingue sur ce site dans l’immédiat, la ville proposera un nouveau site temporaire au plus vite pour une ouverture en septembre 2016. Le site bilingue de La Courrouze sera ouvert simultanément à l’ouverture du groupe scolaire et deviendra le quatrième site bilingue. La municipalité prend l’initiative sur ce dossier en informant l’Education Nationale de sa volonté. La Ville confortera le pôle de Diwan à Villejean et demeurera à l’écoute des évolutions du réseau. Enfin, la Ville soutiendra l’initiative de création d’un collège immersif à Rennes.
3. Sensibiliser et informer efficacement les familles au bilinguisme breton-français
Trop peu de parents sont informés de l’existence des filières bilingues, de leur pédagogie spécifique ainsi que des bienfaits du bilinguisme précoce sur le développement psychique des enfants. La ville s’engage à informer régulièrement les familles par tous les moyens disponibles : campagne de promotion annuelle sur les réseaux dépendant de la Mairie, mallette d’accueil aux nouveaux Rennais, site Internet, Les Rennais… ainsi qu’à l’occasion des inscriptions scolaires, des portes-ouvertes…
4. Recenser véritablement la demande en enseignement bilingue
Après avoir assuré l’information des familles, la ville s’engage à mesurer la demande en enseignement bilingue auprès de tous les parents concernés. Une première enquête sera lancée en 2015 et renouvelée tous les deux ans.
5. Soutien aux activités de loisirs en breton hors enseignement
La socialisation de la langue bretonne donne son sens à l’apprentissage de la langue. Il est de la plus haute importance que les enfants des écoles et classes bilingues puissent pratiquer la langue bretonne dans un cadre extrascolaire pour conforter les acquis. La Ville de Rennes incitera les associations proposant des activités pour enfants à utiliser tous les dispositifs existants pour augmenter l’offre de loisirs en langue bretonne. Des animations en breton seront également proposées dans les centres de loisirs qui accueillent des enfants des filières bilingues.
6. Financer une initiation à la langue bretonne dans les écoles primaires, sur le temps périscolaire
Seule une minorité d’enfants rennais a accès à un enseignement bilingue. L’immense majorité d’entre eux en entendent peu parler. Des sessions d’initiation bien menées peuvent amener à une sensibilisation d’un grand nombre d’enfants à la langue. L’objectif de 15 classes est envisagé en 2015 et une montée en puissance progressive les années suivantes.
7. Favoriser l’apprentissage de la langue par les adultes
Développer l’enseignement de la langue bretonne aux adultes est indispensable pour donner un coup d’arrêt à la baisse du nombre de brittophones, accompagner l’apprentissage de la langue par les enfants, développer l’utilisation de la langue dans la vie quotidienne et renouer, à terme, avec la transmission familiale. La ville met en place un programme d’initiation et de formation interne pluriannuel des agents avec pour objectif de couvrir les besoins (ATSEM, agents au contact des enfants…). La Ville de Rennes soutient les associations et le centre de formation pour adultes et organise des campagnes de promotion annuelles de l’apprentissage du breton par les adultes.
8. Favoriser l’accès des nouveaux résidents rennais à la langue bretonne
Toute personne résidant en Bretagne doit pouvoir avoir accès à la langue bretonne, quelles que soient ses origines. Cela nécessite une réflexion spécifique. Une première action concrète consistera en la production d’un matériel didactique de sensibilisation à la langue bretonne et d’apprentissage adapté en direction des nouveaux arrivants d’autres régions et pays. Ces documents seront diffusés directement par la ville aux intéressés à l’occasion de leur accueil (mallette des nouveaux arrivants, accueil de la mairie…).
9. Développer l’offre de références en breton dans le réseau des bibliothèques
Pour faciliter l’accès de tous au patrimoine linguistique et à la création en breton, les bibliothèques de Rennes et de Rennes Métropole développeront le fonds de livres, de CD et de DVD en breton et/ou bilingue.
Ouvrir de nouveaux terrains d’expression à la langue bretonne
1. Mettre en œuvre l’engagement pris en signant le niveau 2 de la charte Ya d’ar brezhoneg
Les communes, maillon essentiel de la vie publique ont un rôle majeur à jouer dans le processus de réappropriation du breton. Elles sont les collectivités proches des citoyens et de leur vie quotidienne. Une grande partie des bâtiments publics, de nombreuses démarches administratives et de multiples services dépendent d’elles. En respectant le cadre juridique actuel, la Ville de Rennes agit pour promouvoir la langue bretonne et l’intégrer dans la vie normale de la société. La ville s’engage à appuyer la présence de signalétiques bilingues dans des structures telles que la Poste, le réseau de transports STAR, la gare de Rennes, etc.