Brennilis est une petite commune de 461 habitants mais elle nʼen est pas moins célèbre pour avoir vu construire sur son sol la centrale nucléaire EL4, seule centrale à eau lourde (EL) de France. Celle-ci, dʼune puissance de 73MW lors de son fonctionnement (ce qui nʼest rien à côté de certaines centrales comportant 4 tranches de 1380 MW), nʼa fonctionné que de 1967, année où la centrale a « divergé » pour la 1ère fois, à 1985. En fait, sur cette période, elle a fonctionné 106000 heures, soit environ 12 ans. Elle continue néanmoins à faire parler dʼelle car elle est la 1ère sur qui on a démarré et expérimenté un démantèlement, servant ainsi de « laboratoire de taille réelle » pour dʼautres centrales. Et quand on sait les difficultés rencontrées (le « retour à lʼherbe » qui était cher à Jean-Yves Cozan nʼest pas pour demain), on imagine ce que ce sera pour les grosses centrales.
Cʼest pour parler du chantier actuel que la CLI pour la centrale (Commission Locale dʼInformation) tenait une réunion publique jeudi 19 novembre à la salle polyvalente de Brennilis. La CLI, cʼest 43 personnes, dont 22 élus (parmi eux un député, un sénateur, et des conseillers régionaux et départementaux). Cʼest aussi 21 personnes membres dʼassociations (comme la SEPNB, AE2D, Eau et Rivières de Bretagne, Bevañ e Menez Are), des représentants des syndicats ou des personnes venant du secteur économique, enfin des personnes médicalement qualifiées. La CLI se réunit 3 à 4 fois par an, sous la présidence actuelle dʼArmelle Huruguen, vice-présidente du Conseil départemental du Finistère. Depuis la loi sur la transition énergétique du mois dʼaoût dernier, elle a maintenant lʼobligation de faire une réunion publique annuelle. Cʼétait le cas ce 19 novembre.
La réunion dʼun peu plus de deux heures était partagée en deux parties à peu près égale, tout dʼabord un tour dʼhorizon des organismes dont on parlera plus loin (ACCRO, ASN, ANDRA…) et le point sur lʼincendie à la centrale du 23 septembre 2015. La deuxième partie était réservée aux questions du public, et en particulier des associations présentes.
Lors de la première partie, les différents intervenants ont expliqués les liens entre la centrale et lʼACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans lʼOuest) ou lʼANDRA (Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs). La centrale doit travailler avec ces organismes pour gérer le plan 2011-2016 du démantèlement, qui se termine bientôt et qui vient de voir le découpage en deux parties des échangeurs de chaleurs de 20m de haut pour 40 T. Cʼest indirectement en lien avec cette découpe quʼa eu lieu lʼincendie de septembre.
En 2011, la centrale sʼest vu refuser le démantèlement de la cuve du réacteur, non pas en fonction du risque de la découpe de la partie la plus radioactive (et de loin) de la centrale, mais parce que les parties découpées devront être acheminées vers un site provisoire de stockage situé près de Lyon, bâtiment qui ne sera terminé quʼen 2017 ! La centrale devra déposer à nouveau dossier en 2018, il y aura 3 ans dʼinstruction, puis 10 ans de travaux, cela mène au mieux à 2031-2032. Quand on disait que le retour à lʼherbe nʼétait pas pour demain…
Arrivons maintenant à lʼincendie du 23 septembre. La découpe en 2 des échangeurs terminée, il a fallu découper… la scie « froide » spéciale qui avait permis de le faire. Cʼest alors quʼa été utilisée pour le faire une meuleuse produisant des étincelles. Or, à côté séchaient des lingettes de nettoyage imbibées dʼun produit volatil ce qui évite dʼavoir des liquides à évacuer. Ce produit était inflammable, alors que la bouteille du produit ne portait pas de pictogramme « inflammable », de lʼaveu même du directeur de la centrale ! Cela paraît assez inconcevable. Un début dʼincendie a eu lieu, dû aux étincelles produites par la meuleuse, mettant le feu à la tente en polycarbonate sous laquelle travaillaient les ouvriers. Il était 15h38, les pompiers sont arrivés à 16h, lʼincendie totalement circonscrit à 17h20, et le Plan dʼUrgence Incendie levé à 23h20. Il faut signaler que seuls des pompiers spécialisés (ici ceux de Morlaix) peuvent pénétrer dans lʼenceinte confinée. Sur 1500 pompiers dans le Finistère, ils ont une centaine à avoir cette formation.
Cʼest là quʼentre en lice lʼASN (Agence de Sûreté du Nucléaire), autorité indépendante de la filière nucléaire (du moins cʼest lʼinformation quʼils donnent). Ses 273 inspecteurs ont effectué presque 2200 inspections en 2014, en moyenne sur trois visites, deux sont prévues, et une est impromptue. À cette occasion, deux inspecteurs étaient sur le terrain dès le lendemain de lʼincendie. Ils ont ensuite produit un rapport librement accessible sur Internet et pour résumer les conclusions, il y avait « insuffisance de préparation de la dernière phase de découpe ». Dernière information, sur lʼéchelle de 0 à 7 des incidents nucléaires, lʼincendie a été classé niveau 1.
Il sʼen est suivi la phase questions-réponses. Chantal Cuisnier, de « Sortir du Nucléaire Cornouaille », a – si lʼon peut se permettre cette formule – « ouvert le feu ». Elle a été très critique sur le déroulement de la séance et a posé un certain nombre de questions quʼon peut résumer comme suit : Quelles ont été les conséquences de lʼincendie sur le plan contamination et quelles ont été les conséquences médicales sur le personnel ? Est-ce quʼon leur a fait des subir des analyses (sang, urine) ?
Il a été répondu, en particulier par le directeur de la centrale, que la zone où avait eu lieu lʼincendie avait été totalement décontaminée la veille et quʼil nʼy avait aucun risque de contamination α ou au tritium « dans lʼenceinte confinée » (sic). Ce qui semble peu crédible car le cœur du réacteur est bien lui aussi dans lʼenceinte confinée et quʼil ne pourra être découpé quʼavec des robots du fait de sa très forte radioactivité résiduelle. La preuve en est quʼil a été précisé que si lʼessentiel des déchets ultimes de la centrale seront inoffensifs, le découpage du cœur générera a lui seul 100 T de déchets radioactifs. Le directeur nʼa pas non plus répondu à la question de savoir si le personnel présent, qui a certes été contrôlé trois fois pour déceler une éventuelle contamination, avait effectué des analyses médicales.
À la question posée dans la salle « que se passerait-il en cas dʼaccident à Brennilis du type de Fukushima ? », il a été répondu, à juste raison, que si le cœur reste radioactif, le combustible nucléaire et les 100 T dʼeau lourde sont partis depuis longtemps et que ce type dʼaccident est totalement impossible.
Laissons, pour finir, la parole à Michel Marzin, ancien technicien de la centrale et qui sait de quoi il parle. Le représentant de lʼASN a dit quʼon ne pouvait pas savoir si la centrale avait induit des cancers lors de son fonctionnement, car il nʼy avait statistiquement pas assez de monde à avoir travaillé là pour faire une enquête épidémiologique. Michel Marzin a alors répondu que lui avait fait son enquête, et que sur les personnes ayant travaillé avec lʼeau lourde, 1 sur 2 était décédé avant 65 ans. Cela se passe de commentaires.
Les informations sur la CLI sont consultables sur www.finistere.fr/cli-monts-arree