Ainsi donc, seul six députés ont voté contre le « projet de loi prorogeant lʼapplication de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à lʼétat dʼurgence et renforçant lʼefficacité de ses dispositions » : Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan et Gérard Sebaoun du groupe socialiste), Sergio Coronado, Isabelle Attard et Noël Mamère du groupe écologiste.
Dans une société de lʼimmédiateté, se pose la question du temps de réflexion nécessaire à la réaction. Nʼagit-on pas trop vite ? À peine quelques heures après les attentats du 13 novembre, le Ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, annonçait que des frappes avaient été réalisées sur Raqqa, fief de lʼÉtat islamique. La guerre comme réponse à un problème autrement plus profond…
Lʼétat dʼurgence est sur toutes les lèvres, mais mesure-t-on réellement ce quʼest cette disposition ? Pouria Amirshahi déclarait dans une tribune au Monde que « certaines [modifications envisagées] sont la reprise des vieilles revendications du bloc réactionnaire (déchéance de nationalité, présomption de légitime défense – c’est-à-dire permis de tuer – des policiers) ». Mais cʼest surtout en premier lieu la réduction de la séparation des pouvoirs. Car tant le pouvoir législatif que le pouvoir judiciaire sont désormais réduits au profit du pouvoir exécutif. Ainsi, Noël Mamère sʼinquiète de ce dispositif qui « interdit tout contrôle du Parlement ». Un article dʼErwan Manacʼh, sur Politis, donne, lui, la parole au président du Syndicat des avocats de France, Florian Borg, qui craint lʼavènement dʼun « État policier » étant entendu que lʼétat dʼurgence permet de noyer des affaires de droit commun dans un « rouleau compresseur ». « Il est important qu’un juge anti-terroriste soit saisi pour garantir l’application de la procédure » estime-t-il.
Lʼétat dʼurgence permet également l’assignation à résidence de suspects (définis arbitrairement donc) jusquʼà douze heures par jour. Mais pour Marion Maréchal Le Pen (FN), « la limitation de lʼassignation à résidence à huit heures par jour [prévu en début de séance], laisse lʼindividu à risque seize heures en liberté ». La député frontiste estime donc quʼétant « dangereux à plein temps », un tel individu mériterait une incarcération préventive. Une idée suivie par certains députés Républicains qui demandaient la possibilité dʼassigner à résidence un individu 24/24h, autrement dit dʼincarcérer (puisque cela revient au même) sans se soucier du degré de culpabilité. On entre dès lors dans une société où lʼon punit le délit à venir à lʼinstar de cette nouvelle de science-fiction de Philip K. Dick, Minority Report. Le syndrome Guantanamo !
En ce qui concerne la presse, celle-ci nʼest pas concernée par lʼétat dʼurgence contrairement à la disposition de 1955. Le gouvernement doit être conscient du scandale que cela engendrerait, surtout après lʼépisode « Charlie ». Cependant, il faut noter que certains députés, y compris bretons, ont déposé un amendement dont lʼobjet était de pouvoir exercer un contrôle sur les médias. La proposition a heureusement été rejetée.
Le drame vécu le 13 novembre démontre une nouvelle fois le caractère réactionnaire des politiques en France. La gauche hexagonale nʼa hélas aucune réponse progressiste sur des sujets de société comme la sécurité ou lʼimmigration et chaque fois quʼil faut apporter un discours sur ces dossiers, elle se contente de piller les idées de la droite et dʼapparaître « virile » ! Une gauche forte serait donc une gauche qui nʼest pas « laxiste » ? En le disant autrement, on est en droit de se dire quʼune gauche forte, cʼest la droite ! Triste conception du progressisme…
Chacun est conscient du fait que lʼon ne peut pas construire une société heureuse sur la base du contrôle, de la méfiance, de lʼautorité. Pourtant, le premier ministre Manuel Valls nʼhésite pas à dire que « d’autres libertés ont été ou peuvent être temporairement limitées ». Quant à Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à lʼAssemblée nationale, il explique que « les Français sont prêts (…) à une restriction des libertés toute relative, encadrée, contrôlée et limitée dans le temps ». Avec de tels « socialistes », on prend pleinement conscience de la facilité avec laquelle lʼÉtat pourrait basculer dans un régime autoritaire. Et si lʼAssemblée nationale représente réellement le peuple français, retenons les paroles du député Pouria Amirshahi : « on n’assigne pas une société à résidence » ! Le vote des députés en faveur de cette prolongation de lʼétat dʼurgence présage de leur attitude en cas de récidive terroriste…