Attentats à Paris. L’autoritarisme comme réponse au terrorisme ?

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Réagissant aux attentats commis à Paris le 13 novembre, le Président de la République, François Hollande, dans un discours solennel, a parlé « d’acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste, Daech, une armée de djihadistes, contre la France (…) ». Quelques minutes plus tard, le site de l’Élysée indiquait que l’État d’urgence était décrété sur l’ensemble du territoire métropolitain et en Corse.

La dernière fois que l’État d’urgence a été adopté en France, il y a 10 ans tout juste (novembre 2005), il s’agissait de mettre fin aux « émeutes » dans les banlieues. À l’époque, ce décret était circonscrit aux zones concernés. Aujourd’hui, il concerne tout le territoire métropolitain et la Corse. Il y a quelques heures, François Hollande a annoncé qu’il désirait qu’il se prolonge durant 3 mois ce qui revient à dire qu’il proposera une loi permettant de dépasser les 12 jours légaux, comme l’avait fait Jacques Chirac en son temps.

Dix années après les attentats de Madrid et de Londres et moins d’un an après un attentat ciblé contre des dessinateurs de presse à Paris, une organisation terroriste islamiste frappe encore massivement en plein cœur du pouvoir occidental suscitant une vague d’émotion incroyable. Malheureusement, l’émotion est mauvaise conseillère et toute action suppose réflexion.

Alors que les médias nous apprennent déjà que la ville de Raqqa, fief des islamistes en Syrie, a été bombardée, il faut attirer l’attention sur trois erreurs de jugement du Président Hollande.

La première concerne le vocabulaire utilisé. Comme l’explique l’écrivain et historien belge David Van Reybrouck sur Médiapart, le président français utilise la même terminologie que George W. Bush à la suite des attentats perpétrés contre New-York en 2001. « Un acte de guerre » ! « Vous êtes tombé dans le panneau, Monsieur le Président, parce que vous sentez l’haleine chaude de faucons comme Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vous brûler la nuque » explique-t-il. Cette course à la fermeté ne mènera qu’à l’escalade de la violence car il est clair que l’État islamique souhaite une guerre totale. On ne rappellera jamais assez les conséquences de la guerre de 2003 contre l’Irak qui avait débuté en réalité dès 1990 lors de la première guerre du Golfe dont l’objectif était la maîtrise du pétrole au Koweit.

La seconde erreur de jugement concerne justement « l’ennemi ». « Une armée » dit M. Hollande. Comme s’il était possible de mener un front, une guerre de tranchée, contre l’État islamique ! L’État islamique n’est pas en Syrie, il n’est pas en Irak, il est mondialisé. Il dispose de cellules dormantes un peu partout et le traquer sur son terrain ne pourra pas résoudre le problème de fond qui est le sentiment de marginalisation d’une partie toujours plus importante de la société. Nous ne sommes donc pas dans un scénario à la Pearl Harbor où la réplique était possible puisque l’ennemi était identifié. Aujourd’hui, l’ennemi est indivible, il est partout et nulle part. D’où ce sentiment de crainte qui est justement l’effet recherché par les djihadistes. Hannah Arendt ne disait-elle pas que la terreur n’est pas un moyen mais l’essence même des régimes totalitaires ?

Et c’est justement là la troisième erreur de jugement : ce n’est pas la France spécifiquement qui a été attaquée, mais bien le monde occidental, le monde impie, celui qui n’est pas musulman (au sens Daech du terme). Nombreux sont les étrangers, mais aussi les français à avoir manifesté leur solidarité aux parisiens en arborant un petit drapeau tricolore sur leur profil facebook. Piètre consolation que de nationaliser un conflit qui n’a rien de national. L’État islamique se moque de la nationalité des victimes, de même que de leur religion. Pour les fanatiques de l’État islamique, écrivait Le Peuple breton de mai 2015, l’enjeu est donc, à l’instar des nazis, de mener une guerre contre la culture, contre les intellectuels. Le film De Nuremberg à Nuremberg rappelle ces paroles d’Adolf Hitler : « Oui, nous sommes des barbares et nous voulons êtes des barbares. C’est un titre d’honneur, nous sommes ceux qui rajeuniront le monde. Le monde actuel est prêt de sa fin, notre tâche est de le saccager. »

Il est donc inutile de chercher un « pourquoi », de « rationaliser » les raisons qu’ils pourraient avoir eu de tirer dans la foule de spectateurs du Bataclan. D’aucuns diront que le lieu est tenu par un juif, d’autres qu’il était simplement une cible facile, gageons plutôt qu’il s’agit de susciter l’émoi et de chercher la réaction. Quand on voit défiler, à Pontivy, quelques centaines d’imbéciles, gwenn-ha-du à la main, contre les étrangers, on mesure d’ailleurs à quel point ces fanatiques et l’extrême-droite nationaliste (qu’importe laquelle) partagent la même haine de l’Autre.

Comment peut-on alors améliorer la sécurité ? Pour beaucoup, cela suppose plus de police. Pour ceux-là, répétons-le encore et encore : il n’y a pas de solution sécuritaire au terrorisme. Et même en mettant un agent à chaque coin de rue, on empêchera pas un terroriste de faire ce pour quoi il a été conditionné : tuer et semer la panique. Décréter l’État d’urgence est compréhensible, mais le faire durer, c’est comme le dit Paul Alliès dans un autre article de Médiapart, « [accoutumer] les citoyens aux pouvoirs exceptionnels ou de crise dont le fondement est dans l’idée que la statut de l’État passe avant les libertés individuelles ». C’est ainsi que progressivement, on bascule tranquillement dans un régime autoritaire, les citoyens étant prêts à troquer un peu plus de leur liberté contre un peu plus de sécurité (théorique).

Dans l’introduction de son livre Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt écrivait que « le régime totalitaire diffère des dictatures et des tyrannies » en cela que « la domination totale est la seule forme de régime avec laquelle la coexistence ne soit plus possible. » Assurément, l’État islamique en porte toutes les caractéristiques. Face à cette menace, réduire les libertés, affermir les règles françaises, ne fera que souder les marginalisés, ceux qui se sentent exclus, contre la République. La meilleure façon de tarir le flot de marginalisés, c’est de reconstruire une société qui intègre (et pas une société qui assimile), c’est de mener de réelles politiques sociales sans se soucier du coût qu’elles engendrent : plus d’école, plus d’enseignants, plus d’éducation populaire, plus de protection sociale (…) coûteront toujours moins cher que les rafales en opération !

À l’international, bombarder soudera les populations contre l’Occident car il ne faut jamais oublier qu’elles ne perçoivent pas le conflit de notre façon, mais depuis leur quotidien à elles. Or, leur quotidien, c’est un 13 novembre 2015 à Paris ! La seule issue est de soutenir ceux qui, au Moyen Orient, promeuvent la démocratie. Ce n’est ni Erdogan que soutiennent l’Allemagne et la France, ni Bachar Al-Assad que soutient la Russie, mais bien les Kurdes.

À la suite des attentats contre Charlie Hebdo, le porte-parole de l’Union démocratique bretonne, Nil Caouissin, avait estimé que les libertés ne se négocient pas. « Elles ne sauraient être mises à mal tant par l’autoritarisme que par le terrorisme. L’UDB appelle à la retenue et à suivre la déclaration de Jens Stoltenberg, premier ministre norvégien, qui avait déclaré après l’attentat d’Oslo et le massacre d’Utoya : “nous allons répondre à la terreur, par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance” ». Le conseil tient toujours, ici et ailleurs.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]