Dans une « tribune » sur son compte facebook, publiée en pleine nuit, le 5 novembre, Manuel Valls affirme que « l’autorité est par définition émancipatrice, libératrice ». En matière de définition, on aimerait que le premier ministre nous indique ses références. En effet, selon Le Larousse, l’autorité est le « pouvoir de décider ou de commander, d’imposer ses volontés à autrui ». Wikipédia affirme pour sa part (Larousse, 2002) que « l’autorité est le pouvoir de commander, d’être obéi ». Dès lors, on comprend mal comment le commandement, l’obéissance et l’imposition pourrait émanciper qui que ce soit.
La réalité, c’est que Manuel Valls est à l’image de la société d’aujourd’hui. Préférant suivre les sondages d’opinion que des convictions idéologiques, il n’hésite pas à travestir le sens des mots afin de les faire coller à l’idéologie qu’il est censé défendre. Lui qui prétend aimer la langue française ne semble pas gêné par les oxymorons : « la guerre, c’est la paix » pour Big Brother, « l’autorité, c’est l’émancipation » pour Manuel Valls !
Malmenée et incapable de se renouveler, la gauche gouvernementale cherche en réalité à rassurer une société en manque de repères, en manque de rêves. « Pour comprendre les ressorts de cette crise de l’autorité, il faut revenir, un instant, à Hobbes, et aux deux raisons profondes qui font que les individus acceptent l’autorité du Léviathan. La première est l’assurance de vivre en sécurité. La seconde est, sur cette base, la possibilité de poursuivre leur désir de la manière la plus adéquate possible, grâce à un État qui est en capacité de leur assurer un avenir. » explique Manuel Valls. Cette « gauche » défendue par Manuel Valls a besoin d’apparaître comme un rempart face à un monde jugé hostile, où évoluent des terroristes et où le danger est à la porte de chez soi. C’est aussi cette même « gauche » qui a fait de l’État, celui qui a « le monopole de la violence légitime » d’après Thomas Hobbes ou Max Weber, le pilier de la fonction publique et de l’ordre. Cela correspond assez bien à la vision du pouvoir en France : non pas issue du peuple comme la démo-cratie l’exige, mais délégué par l’État qui se fonde avec la nation. L’autorité est donc une conception du pouvoir qui est verticale, qui part du sommet et s’impose à la base. Braves gens, troquez donc un peu de liberté contre de la sécurité !
L’Union démocratique bretonne, à l’inverse, cherche à développer une vision de la société horizontale où le pouvoir est tellement partagé qu’il ne peut être concentré dans les mains d’une caste ou d’un pouvoir autoritaire. L’ordre ne s’impose pas, il devient « naturel » dès lors que chacun est responsable et donc responsabilisé. Plus besoin de matraques si le peuple est satisfait ! Plus besoin d’assistance si le peuple s’auto-gère et est solidaire.
Dans sa conception très « IIIème République », Manuel Valls cite pêle-même plusieurs pouvoirs régaliens (du latin regalis, royal) que sont, selon lui, l’École, la Justice, la Fiscalité, l’Armée. Et à chaque fois, le premier ministre semble prendre à contre-pied l’idéal autogestionnaire, lui qui se revendique pourtant de la « deuxième gauche ».
Si l’École est malade, ce n’est pas faute d’autorité, mais de reconnaissance. Les enfants sont loin d’être des idiots et savent que l’ascenseur social ne fonctionne pas/plus. Ils savent aussi que l’emploi est rare et que l’École n’est plus le sésame qu’il fut. Peut-être aussi parce que l’émancipation justement n’est plus le but de l’école et que celle-ci devient de plus en plus utilitariste. L’École doit « servir » certes, mais à soi-même avant tout. L’École donne des clefs pour comprendre le monde, elle ne doit pas être seulement un marche-pied vers le travail. Penser que l’avenir de l’École passe par un retour de la domination du maître sur l’élève est anti-pédagogique. Le respect n’est pas affaire de domination, ni du maître sur l’élève, ni de l’élève sur le maître.
Si la Justice n’est plus respectée, c’est que les lois sont injustes car les tribunaux jugent en fonction du Droit, pas du Juste. Quand les politiques sont injustes, les lois pénalisent les faibles et créent des passe-droits pour les puissants. Ainsi, les handicapés et les retraités sont jugés responsables des déficits chroniques de l’État alors que les multinationales refusent de payer l’impôt. On réveille à 6h des salariés qui déchirent une chemise, mais on laisse dormir des truands qui occupent de belles places dans l’organigramme de l’État.
En matière d’armée, la dérive est encore plus dramatique. L’augmentation du budget de la Défense cache mal la faiblesse de la diplomatie française qui cherche à incarner une troisième voie entre la Russie et les États-Unis sans comprendre que son logiciel de pensée date des guerres coloniales. Les sociétés démocratiques imposent à leur armée de faire corps avec le peuple, pas d’être à la solde du pouvoir en place. Ajoutons que plus personne n’est dupe du rôle réel de l’armée : défendre les intérêts économiques français à l’international, autrement dit maintenir la situation coloniale, notamment en Afrique.
Même en matière de fiscalité, l’autorité est absurde. Certes, le prélèvement de l’impôt est nécessairement vertical, mais la réforme fiscale promise par Hollande aurait permis de rendre les collectivités plus autonomes et moins dépendantes de l’État. En matière de fiscalité, l’autorité s’est faite sentir justement, et pas dans le bon sens.
En revanche, Manuel Valls a raison d’écrire que « l’Europe, qui doit parler d’une voix claire, redonner confiance dans sa capacité à avoir un projet pour les citoyens ». Mais le citoyen a bien du mal à percevoir quel est ce projet si ce n’est un marché commun, projet libéral qui n’a que faire des valeurs et où les richesses produites ne sont jamais partagées. Manuel Valls prétend que son gouvernement a trouvé une « solution à la crise grecque », disons plutôt qu’ils ont imposé aux Grecs la façon dont il fallait penser. Cette Europe autoritaire là, personne n’en veut !
En citant Hannah Arendt ou Thomas Hobbes à sa rescousse, Manuel Valls cherche à se justifier vis-à-vis de l’extrême-droite et de la droite qui accusent le gouvernement de « laxisme ». Pour se démarquer d’eux malgré tout, il joue sur les mots en différenciant « autorité » d’« autoritarisme ». Certes, l’honnêteté intellectuelle oblige à dire que l’autorité définit aussi le crédit dont peut jouir quelqu’un (untel fait autorité), mais ce n’est guère le cas du Premier ministre qui, non content de vanter une société de plus en plus sécuritaire, donne un sens bien étrange à certains mots de la langue française ! Et si Manuel Valls accuse la droite de courir après l’extrême-droite, cette tribune est une preuve supplémentaire que la gauche qu’il incarne court après la droite… Car en aucun cas, un surplus d’autorité ne mènera à un surplus de démocratie, ni à l’émancipation individuelle ou collective.