Le couperet que l’on attendait est finalement tombé ce mercredi 27 octobre avec le vote au Sénat d’une motion de rejet du Projet de loi de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires défendu par Christiane Taubira. Cette motion a été adoptée à 179 voix pour, 155 contre, 6 abstentions et 8 sénateurs décidant de ne pas prendre part au vote.
Cela sonne la fin d’une longue séquence, entamée en décembre 2013 avec l’annonce dans le Pacte d’avenir pour la Bretagne de l’enclenchement du processus législatif de ratification, qui elle-même fait partie d’une encore plus longue dérobade de la France depuis la signature de la Charte par le Gouvernement de Lionel Jospin le 7 mai 1999.
Un vote sans surprise
Ce vote du Sénat n’est pas une surprise, et le non-aboutissement de la ratification non plus à vrai dire. Depuis que François Hollande a sondé les groupes parlementaires de l’opposition (UMP et UDI) quant aux possibilités de faire passer un train de réformes constitutionnelles, on savait que leur réponse avait été négative sur l’ensemble d’entre-elles. L’opposition n’allait pas faire le cadeau à François Hollande d’une réforme constitutionnelle adoptée grâce à ses voix. Car rappelons que pour adopter un projet de loi constitutionnelle, tel que celui sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, il faut pouvoir recueillir le vote des 3/5è des parlementaires réunis au Congrès à Versailles. Or, la gauche n’a jamais eu cette majorité cumulée dans les deux chambres. Il lui manquait environ 35 voix de l’opposition alors qu’elle était majoritaire dans les deux chambres, tout en devant compter sur la perte d’aucune voix au sein des groupes PS, radical et communiste, chose difficile à imaginer tant les jacobins hostiles aux langues régionales sont encore suffisamment représentés au sein de ces groupes, tant à l’Assemblée qu’au Sénat comme le montre le vote de l’assemblée.
Pour les langues régionales dans les propos, pas dans les actes.
Il est vrai que le sujet des langues régionales, reste transpartisan, avec des fractures traversant l’ensemble des partis politiques. Si le sujet devient de moins en moins passionné, des relents d’intolérance jacobine sont toujours présents, malgré l’attachement que tout le monde dit accorder aux langues régionales la main sur le cœur. A écouter les parlementaires ayant voté contre la Charte, ceux-ci sont tous pour les langues régionales, mais à chaque fois qu’il s’agit de faire un pas concret pour les défendre et les promouvoir, ceux-ci trouvent toujours un artifice juridique ou politique pour ne pas voter en ce sens. On se rapproche du syndrome « je ne suis pas raciste, la preuve, j’ai un copain … ». Dans le cas présent, cela s’appliquerait ainsi : « Je ne suis pas contre les langues régionales, la preuve nous avons déposé une proposition de loi sur le sujet avant le rejet de la ratification ». Sauf que cette proposition de loi bâclée, ressussé de dispositions déjà prévues dans une proposition de loi déjà déposée au nom du groupe d’études sur les langues régionales de l’Assemblée nationale, ne prend même pas en compte les avancées votées depuis 2012 dans les lois sur la Refondation de l’école et les lois de décentralisation. De la poudre aux yeux !
Le gouvernement n’a pas tout fait pour la ratification
On pourra reprocher au Gouvernement d’avoir traîné en chemin en attendant janvier 2014, bien poussé par le mouvement des Bonnets Rouges pour enclencher le processus de ratification au Parlement. Car s’il disposait encore de la majorité dans les deux chambres à cette époque, sans avoir les 3/5è, le fait de passer par une proposition de loi pour un premier coup à l’Assemblée nationale, puis de devoir passer par un projet de loi au Sénat, et une nouvelle fois un projet de loi à l’Assemblée nationale, n’aurait pas permis de pouvoir réunir à temps le Congrès à Versailles avant les élections sénatoriales de septembre 2014 ou la droite est redevenue majoritaire. Le Gouvernement n’a clairement pas tout fait de manière optimale pour la ratification de cette charte, car si le processus avait été enclenché rien qu’un an plus tôt, il aurait fallu aller chercher moins de voix dans l’opposition. La pression aurait été plus forte sur elle. Mais n’en doutons pas, celle-ci n’aurait très probablement pas voulu laisser une telle victoire au Congrès à mettre au crédit de François Hollande. On pourra également reprocher au Gouvernement de présenter son projet de loi au Sénat à deux mois des élections régionales, mais qu’aurait-on dit si le Gouvernement n’avait pas essayé d’aller au bout du processus en mettant le Sénat face à ses responsabilités ? Une bataille ne peut pas être gagnée si elle n’est pas menée jusqu’au bout.
L’illustration de l’état de la démocratie française
On retiendra donc que c’est bien à cause de la droite que ce projet de loi a été enterré, sans même d’examen sur le fond. Elle ne peut se cacher derrière des arguments juridiques fallacieux pour la rejeter. En effet, c’est bien le Parlement qui détient le pouvoir de modifier la Constitution, la droite et le centre ne peuvent se ranger derrière un avis négatif du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel au motif que cette charte serait anticonstitutionnel. C’est à se demander si les sénateurs n’ont pas purement et simplement abandonné leur pouvoir constituant à ces autorités administratives conservatrices non élues. Cela augure mal de l’état dans lequel est actuellement la démocratie française, quand on sait que l’adoption de l’article 75-1 reconnaissant les langues régionales comme faisant partie du patrimoine de la France, est considéré comme un article à valeur « infra-constitutionnelle » par le Conseil constitutionnel. En d’autres termes, l’article 2 édictant que la langue de la république est le Français, a plus de valeur que cet article.
La droite à la manœuvre contre la ratification
Pour en revenir au vote d’hier, nous n’oublierons donc pas que l’occasion a été donnée à la droite de voter ce projet, et qu’elle ne l’a pas fait. Et cela dans le sillage de Bruno Retailleau, Président du groupe « Les Républicains » du Sénat, candidat au poste de Président de la région des Pays-de-la-Loire, et ancien disciple de Philippe de Villiers. On notera d’ailleurs le vote contre des Sénateurs Michel Vaspart (Côtes- d’Armor), Dominique de Legge (Ille-et-Vilaine), André Trillard (Loire-Atlantique) et même Joël Guerriau (UDI Loire-Atlantique), bien emmené par le Président de son groupe, le Mayennais François Zochetto. Un vendéen et un mayennais à la manœuvre contre les langues régionales, et on voudrait nous faire croire que l’identité bretonne ne serait pas menacée par une fusion de la région Bretagne dans un grand-ouest avec les Pays-de-la-Loire ?
Retailleau ou l’argument du communautarisme tout en faisant la course au FN
D’ailleurs, les prises de position, de celui qui se veut le défenseur de l’identité vendéenne, sur le communautarisme rampant qu’induirait cette Charte sont insultantes et infondées lorsque l’on sait que la maitrise d’une langue régionale facilite la maîtrise d’une langue étrangère, et que la Bretagne, pour ne citer qu’elle, est l’une des régions les plus ouverte qu’il soit, nous en voulons pour preuve la faiblesse relative du vote d’extrême droite, l’attachement à l’Europe et aux valeurs de solidarité représentés par une forte activité culturelle, associative et par exemple un faible taux d’évasion fiscale. Il est d’ailleurs incroyable d’entendre ça de la bouche d’un sénateur qui fait la course au FN, grand artisan du repli identitaire français. Cette argumentation de Bruno Retailleau est enfin à même de faire croître un sentiment d’humiliation dont les générations antérieures ont largement souffert et ainsi de renforcer l’injustice ressentie par les locuteurs des langues régionales à qui l’on dénie de nombreux droits fondamentaux.
Le fantasme d’une France immuable
Alors que cette charte n’enlèverait aucun droit à personne, ses opposants font ainsi preuve d’un rejet de leurs locuteurs. On notera ainsi la prise de position du sénateur radical de gauche d’un autre siècle, Jacques Mézard qui reprochait à Lionel Jospin d’avoir signé cette charte « malgré le plasticage d’un bâtiment de Cintegabelle par l’armée révolutionnaire bretonne », avant de vociférer que sa « république n’est pas celle des bonnets rouges ». Assurément, la sienne n’est pas la nôtre non plus, lorsqu’on l’écoute déclarer que le contenu de la Charte est « contraire à nos principes fondamentaux, quelques changements que l’on puisse apporter à la Constitution ». Cela revient à dire, que cela est immuable, dans l’ADN de la France depuis des temps immémoriaux et qu’en quelque sorte, cela relève de la loi naturelle, cette même loi naturelle qu’invoquaient les opposants à la loi sur le mariage pour les couples de même sexe.
Ainsi la Charte ne sera pas ratifiée durant ce mandat, ni même probablement dans un avenir proche. C’est à désespérer des pesanteurs existant encore en France. Aujourd’hui encore, la France est l’un des rares pays à ne pas reconnaître ses langues, à ne pas les protéger par une législation adéquate, alors que tout nouvel adhérant à l’Union européenne se doit de ratifier la Charte. La patrie des droits de l’homme dont se gaussent pompeusement si souvent les élites proclamées de ce pays, n’empêche pas le blocage de la reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique interne, valeurs universelles s’il en est.
L’obtention d’une loi-cadre est le combat à mener.
Au final, si tous s’accordaient sur le fait que ratifier la Charte n’allait pas sortir les langues régionales du mauvais état dans lequel elles se trouvent, celle-ci ne pouvait être que profitable. En effet, ratifier la Charte, à défaut de changer de constitution et de république, cela aurait été faire évoluer les mentalités sur la comptabilité de la république actuelle et les langues régionales. Cela aurait surtout permis d’avoir un outil de droit sur lequel s’appuyer alors que jusqu’à présent les initiatives de promotion des langues régionales étaient pour la majorité d’entre elles tolérées. C’est cette sécurité juridique qui aurait été bénéfique pour l’affaire des livrets de familles bilingues de Carhaix ; pour l’affaire des panneaux de signalisation d’entrée de ville bilingue de Villeneuve-lès-Maguelone ou encore pour la signalétique paritaire dans les gares ou postes réclamée avec beaucoup de difficultés par Ai’ta notamment. Avoir un corpus juridique à opposer aux représentants de l’état sapant les efforts des défenseurs des langues n’était pas négligeable. Ratifier la Charte c’était enfin une étape préalable à l’adoption d’une loi-cadre sur les langues régionales, et encore plus d’une co-officialisation des langues régionales sur les territoires dans lesquelles elle est parlée.
Si une loi-cadre demeure possible, elle sera rendue plus difficile sans cette assise constitutionnelle. C’est ce à quoi doivent désormais s’atteler tous les défenseurs sincères des langues régionales en continuant le combat, malgré cette bataille perdue.