La gauche d’avenir est celle de l’émancipation

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On ne peut qu’admettre l’impasse dans laquelle se trouve la gauche hexagonale. Sans revenir dans les détails, rappelons que le PS a fait le choix de conforter le centralisme au lieu de fédéraliser la République, qu’il a maintenu un système fiscal brouillon et parfois injuste alors que des économistes progressistes lui proposaient une réforme clé en main, qu’il s’accroche au nucléaire au lieu de s’engager avec toute la force nécessaire dans les économies d’énergies et le développement des énergies renouvelables. En politique extérieure, il continue à soutenir l’État turc contre les défenseurs du peuple kurde, alors que ce sont ceux-là même qui font barrage à l’État islamique…

Dans de trop nombreux domaines, la continuité avec le mandat de Nicolas Sarkozy est patente. En France, on vote mais à Paris, les mêmes politiques se maintiennent malgré les changements de majorité. Ce processus mène à terme à la victoire de l’oligarchie sur la démocratie.

On est bien loin, avec l’action de François Hollande et de son parti, de l’idée fondatrice de la gauche : instituer une société conjuguant liberté individuelle et égalité, non seulement devant la loi mais aussi dans les conditions de vie matérielles. Assimiler le projet fondateur de la gauche (qu’elle soit française, bretonne, basque, turque, allemande, kurde…) à l’action gouvernementale, c’est mal comprendre l’évolution qui a éloigné les grands partis hexagonaux de la gauche. Moulés dans le cadre de l’État bureaucratique, ils en ont épousé les intérêts et les réflexes, hérités de la monarchie et de l’Empire. Ils ont pu, un temps, faire illusion car un cadre étatique autoritaire a pu être un outil de progrès social réel. Il ne faut pas non plus nier que des femmes et des hommes sincères se sont investis jusqu’à l’échelon gouvernemental pour tenir les promesses de la gauche. Aujourd’hui, la mondialisation libérale a presque tout balayé, l’État est de plus en plus impuissant, mais une certaine gauche, comme la droite « républicaine » et le Front national, s’accroche, désespérément, à cette coquille vide.

La gauche n’a pourtant pas disparu. Elle peut-être, au contraire, en train de revenir à ses fondamentaux, portée dans sa renaissance par ceux qui prennent le parti du droit des peuples à s’organiser librement, à définir leur modèle de société, plutôt que de s’aligner sur les exigences du capitalisme et d’États près à tout pour continuer à se croire « souverains ».

En Grande-Bretagne, le Labour de Tony Blair a lui aussi suivi une voie le menant à abandonner une partie de l’héritage de la gauche, l’ambition de l’égalité entre les hommes assurée par la puissance publique. Du moins en a-t-il été perçu ainsi en Écosse, où les indépendantistes du SNP ont assuré leur succès en démontrant au peuple écossais que l’autodétermination, loin de ne concerner que la culture ou les institutions, était aussi un moyen de promouvoir la justice sociale. Le SNP est devenu la gauche écossaise, celle qui ne se résigne pas aux plans de rigueurs à répétition, justement parce qu’elle gouverne pour un peuple, et non pour un État et une administration. Les partis engagés pour l’autodétermination, qu’ils soient indépendantistes, autonomistes, ou de quelque manière qu’ils se qualifient, ont cela de commun qu’ils ne sanctifient pas les institutions existantes mais fondent leur légitimité sur la volonté populaire, y compris lorsqu’elle transcende les frontières et les limites administratives. En cela, ils sont les authentiques progressistes et démocrates de l’Europe d’aujourd’hui.

C’est dans ce mouvement que s’inscrit « Oui la Bretagne ». C’est pour cela que notre plateforme est de gauche, une gauche démocrate et progressiste comme l’indique sa charte des valeurs. Ce n’est pas une gauche d’étiquette, affichée en référence à tel ou tel parti national. Elle ne demande pas de certificat de parcours politique à qui veut la rejoindre, elle est à la fois plus souple et plus exigeante : elle demande de participer à l’espoir d’une émancipation du peuple breton, émancipation qui ne peut passer par les seules institutions, mais doit aussi être sociale. Le droit de vote ne fonde pas seul la liberté et la démocratie. L’égalité, y compris matérielle, et l’implication des travailleurs, citoyens, consommateurs et usagers dans les processus de décisions économiques en sont aussi des conditions essentielles. Nous avons fondé « Oui la Bretagne » pour donner un nom à la gauche de l’émancipation dans notre pays.

Mercredi 7 octobre, à Carquefou, les ouvriers de l’usine Seita manifestaient devant leur usine. Bien que rentable, elle est délocalisée en Pologne. Une partie des salariés s’est pris en main pour créer une nouvelle entreprise, et reprendre une production à partir de matière première cultivée en Bretagne, plus saine et plus écologique, en se regroupant dans une SCOP. Il ne leur manque que leurs anciennes machines ; leur employeur, Imperial Tobacco, préfère les détruire que les leurs céder. À ce rassemblement, le mot d’ordre n’était pas la défense d’un modèle périmé mais le droit des travailleurs à se prendre en main pour réorienter un outil industriel vers un avenir plus responsable et plus durable. Sur les nombreuses listes de gauche déclarées aux élections régionales dans les régions administratives Bretagne et Pays de la Loire, seules deux avaient envoyé des candidats pour soutenir la volonté d’émancipation des créateurs de la SCOP : la liste « Oui la Bretagne » et la liste « Choisir nos régions ». Aucune autre. Le symbole est clair…

> Nil CAOUISSIN

Nil Caouissin est professeur d'histoire, de géographie et de breton. Il est conseiller régional de Bretagne depuis juin 2021. Il siège dans le groupe d’opposition “Breizh a-gleiz - Autonomie, écologie, territoires”.