La « Sécu » vient de souffler, finalement assez discrètement, ses 70 bougies. Lʼordonnance gouvernementale qui a créé la sécurité sociale date en effet du 5 octobre 1945. Elle sʼinspirait directement du programme du Conseil national de la Résistance, lui-même inspiré par un rapport de William Beveridge, un économiste et homme politique britannique, intitulé Social Insurance and Allied Services et qui constituait les bases de lʼétablissement dʼun « État providence » pour lʼaprès-guerre.
De même que le projet initial de lʼUnion européenne, lʼobjectif premier de la sécurité sociale est dʼabord dʼéviter de reproduire des erreurs du passé, erreurs qui ont été rendues possibles par la misère sociale. Dans le dernier numéro dʼAlternatives économiques (octobre 2015), Gérard Vindt écrit dʼailleurs que la Sécurité sociale « sʼinscrit de fait dans une vision keynésienne de lʼéconomie : la sécurité donnée aux travailleurs leur permet de consommer davantage, de stimuler la demande et donc lʼoffre afin dʼéviter le retour du chômage de masse, auquel beaucoup de responsables politiques américains et anglais attribuent la victoire du nazisme en Allemagne ».
On constate dès lors que, dès 1945, cʼest la croissance qui est censée assurer le bien-être. Le président de la République, François Hollande, nʼa pas dit autre chose lors de son déplacement pour les 70 ans de la Sécurité sociale en rappelant que « la Sécurité sociale est un important levier de croissance, d’innovation et d’attractivité pour notre pays ». Et elle lʼest assurément.
Cela étant dit, le keynésianisme est-il la garantie du bonheur ? Et alors que la plupart des français aujourdʼhui nʼont pas connu les « Trente Glorieuses », peut-on continuer de corréler notre modèle social à une croissance hypothétique ?
Le premier directeur général de la Sécurité sociale, le communiste Pierre Laroque prétendait que la Sécurité sociale « commande lʼélimination du chômage ». Le financement de la sécurité sociale se fait effectivement par les cotisations sociales, la contribution sociale généralisée autrement appelée « CSG », les impôts et diverses autres sources. Autrement dit, comment financer la sécurité sociale avec un fort taux de chômage et du précariat ? La solidarité ne peut pas sʼentendre si toutes les cotisations sont faibles.
Lʼune des failles du système de santé français réside en cela que le dogme qui préside à la création de la sécurité sociale repose sur le fait que cʼest la croissance qui créé lʼemploi. Or, les faits prouvent que cela nʼest plus vrai depuis la fin des « Trente Glorieuses » justement. Autrement dit, il est tout à fait possible (et cela arrive de plus en plus souvent) que des entreprises aient un fort taux de croissance et quʼelles licencient malgré tout. Les gains de compétitivité ne sont pas non plus forcément attribuables aux seuls salariés, mais peuvent lʼêtre aussi par les machines qui, elles, ne cotisent pas.
Faut-il pour autant être contre la machinisation ? Faut-il plutôt se battre pour le plein emploi ou pour la réduction généralisée du temps de travail ? Dans une société où le chômage semble être de plus en plus structurel, ne faut-il pas trouver de nouvelles sources de financement du modèle social plutôt que de conditionner ce fonctionnement à la « bonne » marche (capitaliste ?) de lʼéconomie ?
Les français ont raison de sʼinquiéter pour la pérennité de la sécurité sociale car ce modèle est incompatible avec le développement dʼun capitalisme sauvage qui, non content de fabriquer de la misère, ne répercute ni la croissance, ni la richesse sur la vie en collectivité. Au contraire, tous les indicateurs prouvent que cette richesse est captée par une minorité de plus en plus réduite. Le partage des richesses, avant dʼêtre salarial, doit donc également être sociétal afin dʼassurer à tous les besoins les plus élémentaires pour vivre décemment.