L’entreprise Imperial Tobacco a annoncé qu’elle ne cèderait pas ses machines aux salariés qui travaillent sur un projet de scop. Le porte-parole de l’UDB, Nil Caouissin, a rencontré certains d’entre eux. Il revient sur le projet…
Quelle est le projet de scop?
Le projet va plus loin qu’une simple reprise de l’activité. Les ouvriers proposent de sauvegarder une partie des emplois (de 5 à 10 % au départ, plus en cas de succès) en produisant leur tabac en Bretagne, le « Breizh Tobacco ». Des agriculteurs ont déjà été approchés et sont prêts à développer des cultures en s’approchant au maximum des contraintes de l’agriculture biologique. Les ouvriers tiennent en effet à limiter la toxicité de leur produit. Par ailleurs le coeur de cible de leur business plan évite soigneusement les publics les plus jeunes pour ne pas contribuer aux incitations au tabagisme, mais répondre à une demande existante (à partir de 25 ans). On est très loin d’une démarche irresponsable visant le seul profit, comme celle de leur ancien employeur.
La clé du succès de ce nouveau tabac serait l’image positive de la Bretagne, le lien au territoire, et le respect mutuel entre les consommateurs (qui contribueraient au maintien d’emploi industriel au pays) et les travailleurs (qui s’attacheraient à proposer des produits de qualité le moins nocif possible). Le principal point de blocage, aujourd’hui, c’est la propriété des machines : elles appartiennent à Imperial Tobacco, qui préfère les détruire plutôt que les céder.
À ton avis, pourquoi Imperial tobacco refuse de céder les machines ?
On peut imaginer que la firme ne souhaite pas voir se développer un concurrent en Bretagne. Quand on sait que Breizh-Cola prend des part de marché à Coca-Cola, on peut imaginer qu’Imperial Tobacco craigne le même phénomène avec le tabac. Mais selon les représentants des ouvriers, le groupe agirait surtout dans le but de punir les meneurs de la lutte de 2014 pour le maintien du site de Carquefou. Il y a aussi un jeu de pressions sur l’État de la part Imperial Tobacco, qui ne veut surtout pas de nouvelles mesures comme le paquet neutre. Empêcher la reprise d’une activité locale serait un moyen de rétorsion…
Que pourraient faire les collectivités ?
Les régions seront, selon la loi Notre, en charge du développement économique et de l’aide aux entreprises, on pourrait donc imaginer un prêt pour acheter de nouvelles machines (entre 3 et 5 millions), sous réserve que le business plan soit jugé solide. Les ex-salariés craignent qu’aucune collectivité ne souhaite associer son image à celle du tabac, mais il faut faire de la pédagogie et expliquer que le projet Breizh Tobacco n’est pas là pour créer une nouvelle demande : au contraire il vise à répondre à une demande existant de manière plus responsable. Un autre problème, plus discret, vient du fait que la région Pays de la Loire ne voit pas forcément d’un bon œil l’apparition d’une nouvelle entreprise revendiquant son appartenance à la Bretagne en Loire-Atlantique.
L’idéal serait bien sûr que personne n’ait à racheter de nouvelles machines. Il manque aux régions des moyens réglementaires pour exercer pleinement leurs compétences économiques. On pourrait imaginer qu’une Assemblée de Bretagne dotée de pouvoirs législatifs fasse adopter des mesures d’urgence de réquisition dans les cas de sacrifice délibéré d’outils économiques qui peuvent encore répondre à des besoins locaux. L’autonomie politique permettrait d’appuyer les initiatives de relocalisation et de reprise des productions par les salariés, de lever des blocages qui n’ont aucune justification économique.
On sent une désillusion de la part des salariés quant à la capacité politique à influer sur l’économie, les multinationales. Est-ce vrai, y-a-t-il des solutions ?
La puissance publique ne peut pas tout régenter part le haut mais elle n’est pas non plus sans pouvoir. La clé est de réussir à accompagner les mouvements de réappropriation de l’économie par la société. Dans un cas comme celui du conflit de Carquefou, tout est là pour faire sans les multinationales : le savoir-faire, l’envie, le projet, le matériel. Le seul blocage, c’est la propriété d’Imperial Tobacco sur les machines, mais il est souvent arrivé par le passé que les pouvoirs publics fassent passer l’intérêt général avant le principe de propriété privée. On exproprie bien pour construire des infrastructures, pourquoi pas pour permettre aux travailleurs de relancer une production ?
C’est en fait une question d’idéologie : soit on considère que le capital a tout pouvoir sur la production, indépendamment de toute considération sociale, écologique et morale, soit on assume le droit à « vivre, travailler et décider au pays ». La faiblesse relative des collectivité locales dans ce domaine est une conséquence du choix fait, au niveau de l’État, en faveur de la première option.
La mobilisation va-t-elle se poursuivre ?
Oui. Une manifestation est prévue sur le site le mercredi 7 octobre, à 14 heures (33 rue de la Mainguais, Carquefou). J’y serai, aux côtés des ouvriers et d’autres personnalités comme Gilles Denigot, les élus UDB de Nantes, des syndicalistes…