
La presse quotidienne aime la polémique. Dʼailleurs, elle nʼaime plus, hélas, que cela… ce qui la rend franchement fade et fait passer les projets au second plan.
Le 14 septembre, Ouest-France a consacré un véritable placard à la division à gauche (« Régionales. Une élection en ordre dispersée »). On y lisait les déboires des partis (de gauche) qui, avant chaque élection, sʼétripent sur les choix tactiques à faire pour conserver des postes et donc une influence sur les choix politiques. Ainsi, EELV hésite à sʼallier avec le Front de gauche, une poignée de militants UDB souhaite le « retour de Jean-Yves Le Drian » (lʼhistoire ne dit pas quand ?), Gérard Lahellec est au bord de la rupture avec un parti communiste de plus en plus hérissé par le comportement anti-social du PS… Force est de constater que les lignes bougent à gauche, y compris au PS dʼailleurs qui, miraculeusement, échappe aux articles assassins alors quʼil subit une véritable hémorragie militante.
Toujours est-il que beaucoup sont fatigués par lʼutilisation de mots-valises qui ont perdu de leur sens. Cʼest hélas le cas pour le clivage droite-gauche. Le milieu politique breton a, de tout temps, entonné un petit refrain selon lequel ce clivage était « français » et quʼil ne correspondait pas à la Bretagne. Un air tellement présent quʼon lui a même donné un nom : le « na ruz, na gwenn ». Dénoncé en son époque par Morvan Lebesque avec une justesse incroyable dans Le Peuple breton (voir ici), il correspond à lʼère du temps qui vise à faire croire que les idéologies ont disparu. Or, au contraire, elles sont très présentes, la plus puissante dʼentre elle étant le néo-libéralisme. Simplement, elles sont englobées dans de gros blocs simplistes.
Morvan Lebesque avait donc raison de dire que ce clivage droite-gauche existe. Cela étant dit, résumer le combat politique à la gauche et à la droite nʼest pas exact non plus et pourrait être qualifié de « réducteur » puisque dʼautres clivages existent. À lʼintérieur de ces deux gros blocs que sont « la droite » et « la gauche », il existe une multitude de courants allant de lʼanarchisme à la sociale-démocratie, la démocratie chrétienne, la libérale-démocratie, le communisme, le socialisme, (…), sans compter le fascisme et le national-socialisme qui empruntent aux deux blocs. Les vainqueurs de cette simplification politique sont les « transcourants » comme Jean-Yves Le Drian ou François Hollande. De son côté, lʼUDB, Union démocratique bretonne, est comme son nom lʼindique, une « union » à gauche de divers courants politiques se rejoignant autour dʼun socle commun.
Mais le clivage droite-gauche résulte en réalité du scrutin électoral mis en place par la Vème République et conforté par le référendum sur le quinquennat. La présidentielle dominant toutes les autres élections, on constate en effet que les enjeux électoraux sont de plus en plus nationalisés, y compris pour les élections locales. Les dernières départementales ont largement démontré ce phénomène. À tel point que lʼon peut sʼinterroger, vu leur faible pouvoir, sur lʼintérêt des élections autres que la présidentielle qui conditionne tout le reste ! Minimisant le parlementarisme, ce mode de scrutin électoral exclue également une multitude de courants politiques de la représentation. Parmi eux, le Front national bien sûr, lʼextrême-gauche, mais aussi les partis dit « régionaux » (autonomistes ou indépendantistes).
La solution est assez évidente pourtant et permettrait une réelle recomposition des forces tout en assurant un réel gain démocratique : la proportionnelle ! Prenons le cas de lʼélection régionale : aujourdʼhui, pour être assuré de remporter des sièges, il faut réaliser 10 % des suffrages exprimés. Autant dire que le seuil est très élevé et que seul certains partis peuvent y accéder du fait de leur médiatisation et surtout de leur capacité à faire croire aux électeurs quʼeux seuls peuvent gouverner (alors que bien souvent, il leur suffit de gérer). Pour être encore plus clair, les élections de décembre prochain ont de grandes chances de voir sʼaffronter au second tour le PS, lʼUMP et le FN (pour rappel : lʼaccès au second tour se fait pour les listes atteignant 10 % au premier). La surprise résulterait de lʼarrivée dʼune autre liste en plus ou en remplacement de celle du FN : Oui la Bretagne ? EELV ? À vrai dire, tout est une histoire de pari. Mais ce mode de scrutin empêche la représentation dʼune frange très importante des votants.
Continuons notre démonstration en échafaudant plusieurs scénarii. Imaginons une élections où, vu le contexte, lʼUMP/Les Républicains arrive en tête du premier tour avec disons 30 % des voix talonnée par le PS avec 28 % (pour rappel, Jean-Yves Le Drian a réalisé 36 % en 2010). Le FN réaliserait 12 %. Dans ce cas, le candidat du PS devra essayer dʼaller chercher du soutien et piocher dans les listes qui ont réalisé entre 5 et 10 %. La représentation de ces dernières (si elles le souhaitent) sont donc conditionnées à la bonne volonté du premier de les intégrer ou non. Si par exemple, le PS renouvelle son score de 2010 (avec une droite au même niveau que 2010 également), alors, elle pourra signifier aux listes ayant atteint 5 % quʼil peut se passer de leur soutien. Très démocratique…
Imaginons maintenant un autre mode de scrutin. Un scrutin de liste à un tour avec prime majoritaire au vainqueur et représentation proportionnelle à partir de 5 %. On pourrait imaginer par exemple que le vainqueur du premier tour obtienne 20 % des sièges de façon à lui assurer une majorité simple. Gardons ce pronostic théorique : le PS obtient 28 %, lʼUMP/LR 30 %, le FN 12 %. Disons que Oui la Bretagne obtient 9 % et EELV 8 % et le NPA 5 %. Soit 92 % représentés. La représentation est beaucoup plus juste et plus représentative de la société. Un tel vote permettrait, qui plus est, de réduire lʼabstention car les votants sauraient désormais que le barrage à franchir est de 5 % et pas de 10 %. Inutile de voter pour les gagnants donc. Le vote utile est mort et enterré et avec lui un argument anti-démocratique. Autre avantage donc : on jugerait de la crédibilité dʼune liste non sur sa capacité à gagner, mais sur son projet. Il y a de fortes chances que ce système soit défavorable aux gros partis qui ne parviendraient alors plus à débaucher des militants dʼautres partis.
Concrètement, il y a 83 élus aujourdʼhui au Conseil régional de Bretagne. Avec cette configuration théorique, on obtiendrait donc une représentation (approximative car il reste un élu à partager) comme suit : lʼUMP/LR arrivant en tête, elle rafle 21 élus + 17 élus de prime majoritaire soit 38 élus, le PS 20 élus, le FN 9, Oui la Bretagne et EELV 6 chacun et le NPA 3.
À première vue donc, les équilibres restent les mêmes : le vainqueur a 38 sièges (le PS en a 38 aujourdʼhui). Mais en réalité, la majorité élue au second tour en 2010 comptait 52 élus. Dans le système proportionnel, la représentation est beaucoup plus juste car elle se fait dès le premier tour et plus au sein dʼun bloc « majoritaire » obtenu après fusion entre deux tours. Cela a un autre énorme avantage : la « majorité » (le vainqueur) nʼa plus (sauf gros score au premier tour) la majorité absolue. Elle doit donc composer avec dʼautres groupes sur chaque dossier. Dans le cas de notre scénario, même si lʼUMP/LR sort vainqueur, elle doit composer avec le FN ou une liste de gauche pour faire passer ses idées. Plus de « division » avec les centristes puisque ceux-ci auraient intérêt à se présenter aussi. Un tel système, plus instable certes, permettrait de dépasser le blocage droite-gauche tout en respectant les sensibilités de chacun. Il faudrait évidemment que la minorité puisse avoir la possibilité de proposer à lʼassemblée un dossier ce qui permettrait aux sensibilités de la minorité de faire entendre également durant le mandat.
Ainsi donc, il nʼy aurait plus de polémiques stériles dʼavant premier-tour. Les partis joueraient leur rôle de « bâtisseurs de projets » et la tactique laissera la place à la stratégie. La lutte des places serait remplacée par la lutte des projets.
Pour résumer, le scrutin de liste proportionnel pour les régionales permettrait de faire réellement de la politique. Si, en plus, on pouvait espérer une dévolution (donc un réel pouvoir de décision), la France pourrait prétendre être une démocratie digne de ce nom…