Les Gitans de Perpignan de nouveau stigmatisés !

Perpignan st jacques

Le quartier de Saint Jacques, à Perpignan, est connu pour héberger une forte population de Gitans. Cette minorité sʼest progressivement sédentarisée sans pour autant avoir été intégrée par la société française. Cette communauté gitane fait régulièrement les gros titres depuis quʼen mai 2005, des conflits entre gitans et arabes ont éclaté dans le quartier.

Mi-août, cʼest « Le Petit journal Catalan » qui a fait parler de lui en titrant « À quoi servent les gitans de Perpignan ? ». Un titre jugé « raciste », y compris par les propres salariés de lʼhebdomadaire, en grève depuis le 11 mai 2015 contre le gérant. « Aujourdʼhui, par la publication de cette Une et de ce dossier, Alain PAGA [le gérant de la SARL Arc en Ciel, propriétaire des douze éditions réparties sur trois grandes régions du Sud de la France] avoue sa volonté de sombrer dans la provocation et la diffamation pour tenter de relancer les ventes, quitte à constituer un trouble à l’ordre public aux effets dévastateurs, démontrant ainsi son incapacité à gérer son entreprise » explique leur communiqué du 20 août. Les salariés sont dʼautant plus troublés par cet article que, disent-ils sur France 3 Languedoc-Roussillon, ce « torchon » a été « fabriqué directement depuis Montauban sans aucun journaliste salarié ». Et lʼarticle nʼest pas signé… Le président du Comité dʼanimation de la Place du Puig, située dans le quartier gitan Saint-Jacques, a dʼailleurs porté plainte contre lʼhebdomadaire. Et on le comprend tant ce titre est inapproprié.

De retour de lʼUniversité dʼété de Régions et Peuples solidaires en Catalogne Nord, Le Peuple breton sʼest procuré le numéro du Petit Journal Catalan et lʼa lu en détail. Outre le titre « À quoi servent les gitans de Perpignan ? », on sʼétonnera également des très nombreux clichés et de cette manie de faire comprendre entre les lignes que ces gens sont « assistés ». Il est tellement facile dʼappeler « assistés » des gens que la République nʼa pas réussi à faire siens ! Car des Roms aux Maghrébins, en passant par les Gitans, ce sont généralement des pauvres dont il est question, des gens exclus, mis à lʼécart de la société. La pauvreté et lʼanalphabétisme sont évidemment un problème, mais ceux-ci ne se règleront pas à coup de stigmatisation.

Lʼarticle dont il est question présente malgré tout trois passages intéressants : le premier concerne lʼévolution des modes de vie qui a marginalisé un peu plus la communauté gitane. « Les petits métiers pratiqués traditionnellement par les Gitans de jadis ne trouvent plus de débouchés depuis longtemps, depuis que lʼon ne rempaille plus les chaises IKEA et que lʼon ne répare plus les chevilles des buffets stratifiés Conforama. ». Une analyse juste qui vaut aussi pour les rémouleurs, les mécaniciens et autres métiers manuels utiles (justement) à lʼépoque où la société de consommation était moins prenante dans nos vies.

Lʼarticle nous apprend également que les Gitans sont « les gardiens privilégiés de la langue catalane en France puisque celle-ci sert de langue vernaculaire ». « Les Gitans sont ainsi parmi les derniers citoyens de lʼhexagone à utiliser le catalan comme langue quotidienne. Pourraient-ils alors sauver lʼusage du catalan en France ? (…) Comment valoriser leur culture bilingue et en faire un pont culturel entre la Catalogne et la France ? ». Un sujet secondaire pour lʼÉtat, on le sait bien, mais une bonne question qui ramène à la question de la transfrontalité.

Le troisième point intéressant de cet article mérite également notre attention tant il est lourd de conséquences. Les gitans, de confession chrétienne, pourraient être, selon lʼarticle, « les principaux soutiens locaux du Front National » face à un islam en développement dans ces quartiers. Si on en croit lʼarticle, en effet, Louis Aliot « dialogue avec eux en permanence ». Les ennemis de mes ennemis sont-ils mes amis ? Cʼest ainsi que la Ligue du Nord italienne qui traitait plus bas que terre les italiens du sud sʼen font aujourdʼhui des alliés contre les Maghrébins, que les immigrés catholiques portugais ou polonais sont aujourdʼhui mieux perçus que des immigrés dont la confession est musulmane. On retrouve là une vieille rengaine : monter les communautés les unes contre les autres !

À quoi donc sert lʼarticle du Petit Journal Catalan ? Dʼabord à sʼinterroger sur les mots que nous utilisons. Car un peuple nʼa pas vocation à « servir », mais a un droit dʼexistence. Il appartient ensuite à la société de faire des ponts entre les communautés et ce nʼest pas en titrant de façon polémique que lʼon y parviendra…

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]