Pour Alain Retière, le problème de revenu des éleveurs n’est que la partie émergée de l’iceberg des défis à relever pour l’agriculture bretonne. Agronome de renommée internationale, Alain Retière est aussi militant et a participé à la liste La Bretagne pour une Europe sociale aux élections européennes de 2014. Il appelle aujourd’hui à ne pas tout attendre du gouvernement et à appréhender les problématiques agricoles dans leur globalité.
« Même si l’Etat ne peut pas beaucoup, il a fait ce qu’il pouvait. Je pense que la France et la Bretagne on la chance d’avoir vu se succéder au Ministère de l’Agriculture depuis une dizaine d’années de hauts responsables plutôt compétents et motivés. Les deux derniers sur des registres différents me semblent avoir bien travaillé, en s’attaquant à des problèmes de fond : Bruno Lemaire sur les questions de sécurité alimentaire mondiale et Stéphane Le Foll sur les questions de la transition écologique de l’agriculture. Mais ce sont des mesures sectorielles qui ne touchent pas vraiment au fond systémique de notre problème économique.
Ainsi, je regrette qu’à l’occasion de la crise récente, d’autres sujets n’est pas été mis plus clairement sur la table, sans doute pour ne pas heurter l’électorat… La première chose est le contrôle des médias et de la publicité. Comment les consommateurs peuvent-ils réfléchir à leur alimentation et devenir plus responsables et solidaires alors que les grands médias, y compris du service public, continuent sans contraintes à les abreuver de publicité (mensongère) sur les supposées vertus diététiques et sanitaires des produits alimentaires industrialisés et dénigrer les agriculteurs, qui se sentent légitimement déconsidérés, et la vie dans les campagnes ?
Pas un mot non plus sur l’urgence qu’il y a à étendre au domaine rural la réglementation sur l’usage des terres et les risques climatiques qui prévaut dans l’espace urbain, et sur la nécessité de renforcer le système de planification urbaine. Nous ne pouvons pas à la fois vouloir des métropoles plus vastes et des aliments moins chers et laisser les terres agricoles se réduire comme peau de chagrin, en laissant la biodiversité s’amoindrir, sous les coups de l’acidification provoquée par les intrants chimiques, de la salinisation liée au méfaits de l’irrigation inconsidérée, de l’artificialisation et de la présence croissance de molécules non dégradables dans les sols et les eaux et in fine de l’érosion.
Pas un mot non plus sur la Loi Macron et les mesures de libéralisation économique qui font la part belle à l’industrie agroalimentaire et chimique, sous couvert de compétitivité. Pas un mot non plus sur les subventions massives aux énergies fossiles et aux secteurs énergétiques obsolètes qui ralentissent la nécessaire mutation écologique.
Pas un mot, toujours, sur le lien avec la réforme territoriale et la nécessaire décentralisation (ordonnée) des compétences en matière de gestion socialement et écologiquement responsable des terres agricoles. Rien non plus sur la problématique de la transmission des exploitations, le coût prohibitif pour les installations en matière de foncier et la faiblesse notoire des retraites payés par la MSA qui n’assure pas aux agriculteurs cédants un niveau de vie décent, s’ils ne sont pas en mesure de transmettre à bon prix des bâtiments et des équipements dont la nouvelle agriculture n’a pas besoin.
Pas un mot encore sur la nécessaire réforme du statut d’exploitant individuel. Le statut de GAEC, aujourd’hui reconnu par la Commission Européenne, ne peut à lui seul servir de base juridique à l’émergence d’une nouvelle agriculture associative, ambitieuse, visionnaire et entrepreneuriale.
Mais il ne faut pas se fâcher avec les leaders de la profession qui ont montré, une nouvelle fois leur vision de courte vue et leur pouvoir de nuisance… et leur désir de garder la haute main sur un monde agricole qui ne comprend pas ce que la société attend vraiment de lui. Et d’ailleurs, cette société sait-elle ce qu’elle attend des agriculteurs lors qu’elle revendique plus de respect pour la santé et l’environnement mais n’est pas prête à en payer le prix… »
Alain Retière