
Dans les dernières décennies de la Troisième République, la presse était sous le contrôle étroit des grandes fortunes et de leurs ententes industrielles et financières. De sa prison en 1941, Léon Blum dénonçait « sa vénalité presque générale », le financement des chroniques financières des grands journaux de lʼavant-guerre par les intérêts privés, et citait lʼexemple du Temps (ancêtre du Monde), dont le rachat avait mobilisé au début des années Trente la mouvance du « Comité des Forges ».
Cet asservissement, et le ralliement correspondant aux autorités de Vichy dʼune grande partie des titres contrôlés et hostiles au Front Populaire, inspira au Conseil national de la Résistance une législation pour lʼaprès-guerre qui devait assurer la transparence du financement des organes de presse et empêcher leur concentration (une même personne ne pouvant par exemple contrôler plusieurs titres).
Complété par le monopole public de la radio et de la télévision – qui avait ses propres défauts – ce système de garde-fous a fonctionné assez efficacement jusquʼaux premières années de la Cinquième République.
Depuis, lʼargent a su le mettre en pièces, avec lʼouverture croissante de la radio et de la télévision aux capitaux privés et le feu vert de fait ou de droit donné à la concentration de la presse. Lʼémergence croissante du numérique a par ailleurs facilité lʼarrivée de nouveaux opérateurs et des transitions dans la propriété des titres.
Qui sʼétonne aujourdʼhui que Le Monde soit la propriété de Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse ? Que TF1 soit depuis 1986 la propriété du groupe Bouygues ? Que Vincent Bolloré puisse faire la loi dans le groupe Canal +, Patrick Drahi à Libération et à lʼExpress, et sans doute bientôt à BFM et RTL, que le groupe allemand Bertelsmann chapeaute M6, Dassault Le Figaro et ses annexes, Lagardère le Journal du Dimanche, Paris-Match ou Elle, Bernard Arnault Le Parisien, les Échos et dʼautres… ? Personne.
Et lʼargent, par ses titres de presse écrite et ses entrées dans les média audio-visuels est sous nos yeux en train de se donner les moyens dʼinfluencer de mille façons les débats et les résultats des prochaines élections, notamment présidentielle et législatives.
Les amis de Nicolas Sarkozy sont plus nombreux dans les noms cités que ceux du peuple, et ceux-là même quʼon présente parfois comme proches de « la gauche » nʼy sont sans doute pas les plus partisans de changements profonds.