Commune dignité

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Morvan Lebesque

Cela fait déjà bien longtemps que Morvan Lebesque a publié son célèbre « Comment peut-on être breton ? » Ce livre a vieilli sur certains aspects, sur d’autres non, et ce jusqu’au questionnement posé par le titre. La réflexion posée par le sous-titre « Essai sur la démocratie française » mérite par ailleurs un nouveau questionnement. En effet, la démarche de Lebesque était de faire comprendre que la France ne serait véritablement en accord avec son identité (qu’elle voudrait démocratique) qu’avec une mise à mort de « L’État caserne » centralisé. Vœux noble ? Certainement. Vœux pieux ? Probablement. Mais suivons un instant Lebesque, supposons qu’il nous serait bénéfique d’aller de nouveau présenter à la France nos revendications sous le voile de sa propre identité politique.

Avant cela, le monde, la société, la Bretagne et la France ayant changé depuis les années 1970, il nous faudrait nécessairement nous reposer la question de notre être propre. Qui sommes-nous, que voulons-nous, d’où venons-nous ? À cette dernière question, il ne faut pas répondre que nos origines remontent aux migrations bretonnes du IVème et Vème siècle. Certes, il est toujours amusant de rappeler cette vérité à certains nationalistes dont le fantasme du mythe national naissant d’immigrés peine à dépasser l’actuelle phobie de l’immigration. Mais ce ne sont là que des réalités historiques qui n’inclinent en rien à une quelconque définition individuelle ou collective contemporaine. C’est là l’Histoire de la Bretagne, pas celle des Breton-ne-s. Est-ce un détail, une provocation ou un crachat à la figure du militantisme breton bas de plafond ? Un peu de tout cela, mais c’est surtout au cœur du questionnement la volonté de savoir si l’on cherche plus à lutter pour la liberté de la Bretagne ou pour les libertés du peuple breton.

Si l’on ne se bat que pour la Bretagne, alors en avant l’élite éclairée qui méprise, maltraite et se fait détester par la société bretonne à laquelle, in fine, elle n’accorde absolument aucun intérêt. En avant la mythification nationale dont le pauvre bas-peuple est forcément moins noble, moins glorieux et plus décevant que l’image d’Épinal de la grande et belle Bretagne. À l’inverse, si l’on cherche à libérer le peuple breton de toutes les oppressions dont il est victime, aussi bien politiques, économiques, culturelles, individuelles et/ou collectives, alors nous voilà dans le sillon des grands combats humains pour la dignité. Ce sont ces combats qui réclament le droit à une existence politique pour la Bretagne comme pour tous les peuples de cette Terre. Ce sont ces combats qui permettent une société de redistribution et de partage car la dignité et le droit à l’existence ne se marchandent pas. Ce sont ces combats qui placent l’écologie au cœur de ses engagements car un droit fondamental de tout peuple est de vivre durablement sur un territoire intelligemment préservé.

Comment donc peut-on toujours être Breton-ne aujourd’hui et demain ? En vivant et en luttant au cœur de la société bretonne pour y constituer un nouveau pays plus juste, solidaire et défenseur acharné de toutes les dignités. La Bretonne et le Breton n’ont pas de couleur de peau, pas de genre, ni de religion, ils ont une adresse et une volonté. C’est ici que le dialogue s’ouvre, en lieu et place du monologue face au mur des lamentations nationales. De cela, nous ne pouvons que considérer les combats de la Bretagne libre et insoumise dans la famille des luttes des droits civiques, des homosexuels, des peuples autochtones à travers le monde, des mouvements paysans et ouvriers, en somme de toutes les luttes pour la dignité humaine.

Néanmoins, pour revenir à la question d’origine, la société française comprendra-t-elle mieux nos revendications ainsi exprimées ? C’est toujours ni certain ni probable, n’oublions pas qu’avec des critères français, Martin Luther King aurait été considéré comme un affreux communautariste et Gandhi comme un immonde nationaliste. Car au final, cela fait bien longtemps que la gauche bretonne a cette idée d’elle-même dans le sillage du combat des droits imprescriptibles de l’humain. Depuis ses débuts même, puisqu’on peut remonter ainsi jusqu’à Émile Masson. Qui est-ce qui ne le comprend toujours pas alors ? Les nationalistes de tous bords, bretons et français. Petite subtilité en France, toute une partie de la gauche est à ce point nationaliste sans s’en rendre compte qu’elle est la plus difficile à convaincre. Vous savez, c’est cette gauche qui vous explique que défendre la langue bretonne c’est du communautarisme et du repli sur soi, alors que s’acharner à vouloir du français partout et pour tous c’est juste la normalité. Le genre de gauche qui serait capable de vous expliquer que chanter l’Internationale en breton c’est mal, qu’il faut forcément chanter cette chanson internationaliste en français – cohérence du dominant quand nous tiens. Mais enfin, essayons toujours, le dialogue finira peut-être par payer, et en attendant luttons toujours plus en avant au pays, comme disait Gwernig les droits se prennent plus qu’ils ne se demandent.

> Alan LE CLOAREC

Alan Le Cloarec, diplômé de science politique, est collaborateur au Peuple breton depuis mars 2015.