Agriculture. La préférence nationale ne règlera que partiellement le problème des prix.

colère agricole

 

La presse fait ses choux gras des dégradations commises par les agriculteurs. Il est certain que parler de ce que va coûter la colère dʼune profession étranglée fait plus réagir que le fond du problème à savoir le prix du lait ou du porc. Et pourtant ! En moyenne, un producteur de lait vend sa production 30 centimes dʼeuro le litre (302 € les 1000 L) quand une bouteille est vendue plus dʼun euro en rayon. Ce prix ne couvre même pas les dépenses de production. Après les annonces dʼIntermarché et de Leclerc dʼaugmenter leur prix dʼachat du porc, le kilogramme a passé laborieusement la barre de 1,40 € au marché cadran de Plérin, seuil minimum revendiqué par les agriculteurs même sʼil ne suffit bien souvent pas.

Accablés par des prix bas qui les empêchent de payer leurs charges, les adhérents du syndicat majoritaire, la FNSEA, sont passés à lʼaction ces derniers jours en bloquant certaines routes de France et notamment de Bretagne et en contrôlant les camions en transit pour vérifier dʼoù provenait leur marchandise.

Cette revendication dʼun meilleur prix est légitime car il est bien évident quʼil faut que les agriculteurs puissent vivre de leur travail et non des subventions. Néanmoins, ne nous trompons pas de combat : si les prix sont bas, ce nʼest pas seulement à cause de lʼimportation même si, bien sûr, la concurrence intra-européenne sur lʼélevage est néfaste et tire vers le bas lʼensemble des professionnels (cela a déjà été dénoncé dans Le Peuple breton). Si les prix sont bas, cʼest dʼabord parce que les consommateurs achètent au prix le moins cher et que, de ce fait, les grandes surfaces mènent une politique dʼoffre de basse qualité (tout le monde connaît le slogan « Leclerc = moins cher »). Pour répondre à lʼexigence du « toujours moins cher » (mais surtout du « toujours plus de marge »), de nombreux distributeurs importent la viande produite à moindre coût ailleurs.

Marc Le Fur, candidat de la droite aux prochaines régionales en région Bretagne, a donc raison de réclamer « 100 % de viandes françaises et bretonnes dans les lycées de la région dès la rentrée scolaire » et, dʼailleurs, il nʼest pas sans savoir que les filières bio sont en cours de structuration autour des lycées du fait de lʼaction du Conseil régional de Bretagne. Car justement, lʼorigine de la viande ne suffit pas à augmenter son prix (même si cela y contribue évidemment du fait des conditions sociales françaises). Il faut également quʼelle soit de qualité et ce message a plus de mal à passer auprès de la profession comme politiquement.

Ce nʼest donc pas un nationalisme alimentaire quʼil faut défendre, mais bien une viande française ou bretonne de qualité. Car cʼest bien la qualité qui permettrait une augmentation du prix durable. Hélas, les producteurs sont pieds et mains liés et leurs investissements les empêchent de penser autrement quʼen terme de volumes produits. Thierry Merret, le représentant de la FDSEA 29 et leader des bonnets rouges, a beau jouer les durs, dégrader nʼest pas la solution pour se faire entendre auprès du consommateur-citoyen. Un syndicat agricole doit certes soutenir la profession, mais il ne peut lui mentir éternellement : vanter le libéralisme tout en appelant au secours lʼÉtat relève du paradoxe ! Sur facebook, un adhérent de lʼUDB, Loic Philippon, expliquait fort justement que « les défenseurs dʼune société libérale sont pris au piège. Leur grille de lecture « laissons faire le marché » est contradictoire avec cette insistance à demander aux tenants de la société capitaliste commerciale de se plier aux injonctions de lʼÉtat dʼune forme de régulation ». On ne saurait mieux dire.

Pour conclure (temporairement), de deux choses lʼune : soit on régule les prix et on fixe des règles à respecter (des quotas pour être clairs), soit on laisse faire le marché et dans ce cas-là, cʼest lʼensemble de la filière agricole conventionnelle qui risque de disparaître pour la simple et bonne raison que les États ne peuvent plus soutenir financièrement le coût réel de la production agricole (non, le bio nʼest pas cher, cʼest le conventionnel qui ne lʼest pas du fait des aides, nuance !). Quoi quʼil en soit, on évitera pas un débat sur la qualité des produits. Et de ce point de vue, les subventions agricoles seraient plus utiles si elles étaient attribuées à ceux qui souhaitent transformer leurs méthodes de production vers une amélioration de leur qualité et donc une diminution de leur cheptel. De leur côté, les grandes enseignes de distribution doivent cesser de vendre du bas de gamme importé et promouvoir des produits de meilleures qualités en rémunérant mieux les producteurs. En somme, passer dʼune économie sauvage à une économie plus équitable.

> Gael Briand

Journaliste. Géographe de formation, Gael Briand en est venu au journalisme par goût de l'écriture et du débat. Il est rédacteur en chef du magazine Le Peuple breton depuis 2010. Il a également écrit « Bretagne-France, une relation coloniale » (éditions Ijin, 2015) et coordonné l'ouvrage « Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles » (Skol Vreizh, 2015). [Lire ses articles]